lundi 19 août 2013

Horizons - Episode 7 revisité


Le rideau de fer a été tiré et un feu brûle vivement dans l’un des bidons, projetant des ombres mouvantes sur les murs. L’air reste âcre, malgré que quelques fenêtres aient été ouvertes pour que la fumée puisse s’échapper. Des barils en métal et quelques cagettes traînent ici et là, mais, en-dehors de ces quelques déchets abandonnés, l’endroit a été vidé de tout son contenu. Plus de la moitié des hommes de Tim se sont réunis autour du feu pour profiter de sa chaleur et discuter. Khenzo se tient en retrait, en compagnie de Camélia qui somnole à ses côtés. Mes deux gardes du corps patientent toujours au pied des escaliers, et Tim est adossé à un mur, surveillant tout ce beau monde. Je suppose que le reste du groupe patrouille dans les environs.

Les deux hommes me laissent passer, sans pour autant me quitter du regard. Je me dirige vers le fond, histoire de m’éloigner le plus possible des ondes hostiles. Camélia dort profondément. Elle transpire un peu moins, ce qui signifie sans doute que la fièvre a légèrement diminuée. Khenzo m’adresse un signe de tête en guise de remerciement. Je lui souris discrètement.

Tim choisit ce moment-là pour traverser le hangar d’un pas lourd et se planter devant moi, l’air furieux :

- Ce n’est pas parce que tu as soigné Camélia que tu dois te croire chez toi ici. Alors prend tes affaires et fous le camp !
- Ce n’est pas la gratitude qui t’étouffe toi !
- Ne fais pas ta maligne avec moi !

Le quinquagénaire m’attrape une nouvelle fois par le col de mon manteau et me colle contre le mur avec violence. Je lâche mon sac sous le coup. Un silence de mort accompagne sa chute. Tous les regards sont braqués sur nous à présent. Il colle son avant-bras sous ma gorge et se rapproche de mon visage. Une veine palpite furieusement le long de sa tempe. Si son regard avait été une arme, je crois que je ne serais déjà plus de ce monde. 

- Tu n’es pas la bienvenue ici. Alors, je ne te le dirais pas trois fois, prend tes affaires et barres-toi ! 
- Je ne suis pas là pour…
- J’en ai rien à foutre ! Ferme-la ! Je t’ai dit de te casser !

Tim resserre son étreinte. Khenzo décide d’intervenir pour nous séparer. Son chef rechigne à me lâcher, si bien que le jeune homme est obligé de l’empoigner de force pour l’éloigner. À se demander qui est vraiment le patron ici. Tout le monde semble craindre Tim et respecter ses décisions, sauf Khenzo. Pourquoi un tel traitement de faveur ?

- Tu fais chier Tim. Elle a sauvé la peau de Camélia et c’est comme ça que tu la remercies ?
- J’aime pas cette gonzesse. Elle va nous attirer des ennuis, je le sens, cracha-t-il en pointant un index accusateur dans ma direction.

Lui et moi, on n’est décidément pas fait pour s’entendre.

- Arrête ta paranoïa. Elle restera ici aujourd’hui, si elle le souhaite. La nuit a été rude pour tout le monde. Alors n’en rajoute pas.
- Non… je…
- Arrête, je te dis !

Khenzo repousse Tim vers le feu et lui fait signe de s’asseoir.

- Les Balayeurs ne sont pas encore venus ramasser les cadavres. Tu veux qu’elle se fasse prendre ? Tu veux qu’ils remontent jusqu’à nous ? Jusqu’à eux ?! (Tim baisse la tête). Si tu veux jouer à ça, on va tous y rester. Alors arrête de nous faire chier.
- Tu m’emmerdes, répond son chef d’un ton cassant.
- Je sais.
- Ce n’est pas à toi de prendre ce genre de décision.
- Certes.

Tim et Khenzo continuent de se disputer quelques minutes pour statuer sur mon sort. Les autres se tiennent à bonne distance des deux hommes, attendant qu’ils prennent une décision. Au premier abord, il me semblait que c’était l’aîné du groupe qui dirigeait tout ce beau monde, mais après ce que je viens de voir, la question se pose. Tim finit par rendre les armes, s’inclinant devant les nombreux arguments de son cadet. Vexé, il se laisse choir sur une cagette.

- Tu sais gamin, mon flair me trompe rarement, conclue-t-il en posant son index sur son nez. Cette fille ne nous apportera rien de bon, je le sais.
- On en reparlera quand tu te seras reposé. Tu auras peut-être les idées plus claires.

C’est presque comique de voir le doyen du groupe se faire rabrouer de la sorte, et je me retiens de ne pas esquisser un sourire. Son regard de braise m’en dissuade et, les bras croisés sur sa poitrine, il continue de fulminer à voix basse.

Khenzo se passe une main dans les cheveux d’un air désabusé, puis revient vers moi. Je n’ai pas bougé, attendant de voir comment les choses allaient tourner. Il s’arrête à mon niveau et me dévisage quelques minutes en silence.

Je finis par prendre la parole :
- Ecoute, j’ai mieux à faire que de m’embrouiller avec un vieillard, alors je vais ramasser mon sac et m’en aller. Ce sera plus simple comme ça.
- Non, je ne pense pas. Les Balayeurs devraient être sur place dans moins d’un quart d’heure. Ça ne te laissera pas assez de temps pour partir d’ici.
- J’en ai vu d’autres, ne t’en fais pas. Je saurais les gérer et les détourner de cet endroit, affirmé-je avec aplomb.
- Il est hors de question de courir ce risque, déclare-t-il d'un ton tranchant. Et puis vu ta tête, une journée de sommeil ne te ferait pas de mal. Ici tu ne risqueras rien, je te le promets.

Je jette un coup d’œil à Tim qui nous épie derrière son air renfrogné. Sans risque, vraiment ?

- Il ne faut pas lui en vouloir, reprend Khenzo qui a suivi mon regard. Tim est un bon chef d’escouade, mais ces derniers jours ont été un peu éprouvant.
- Sans doute.

Ma tête roule en arrière et je me laisse glisser contre le mur pour m’asseoir. Il a raison. Je ne peux pas refuser son offre ; je suis trop fatiguée pour cracher sur quelques heures de sommeil. Les Balayeurs n’excellent pas dans l’art du combat, mais, vu mon état, je risque de ne pas réussir à tenir tête face à une de leurs unités. D’autant plus qu’avec vingt cadavres à ramasser, ça va en faire du monde dans le coin. Je n’ai pas souvent l’occasion de pouvoir souffler de cette manière, autant profiter de celle-là.

Je pose mon front sur mes genoux et passe mes mains dans les cheveux. Ils sont encore humides le long de ma nuque. Je frissonne. La fatigue accumulée me rattrape au galop. Il n’y pas si longtemps que ça, j’étais encore sur les bancs de l’école, réfléchissant aux différents concours que je voulais tenter. À ce moment-là, ce n’est pas vraiment de cette manière que j’imaginais mon avenir. Non. Putain de vie de merde ! Je soupire et jette un œil en direction de Camélia. Réveillée, la jeune femme s’est redressée sur la paillasse et me regarde avec curiosité, les yeux encore rouge de fièvre.

- Comment tu t’appelles ? demande-t-elle, doucement, pour ne pas attiser davantage la colère de Tim.
- Xalyah. Comment te sens-tu ?
- Ça… ça va… Merci. 
- Ne me remercie pas. Tu en aurais fait autant à ma place.

Elle lève un sourcil perplexe. Je ne sais pas comment je dois prendre cette réaction. Khenzo, qui s’était éclipsé, s’agenouille devant Camélia, un thermos en inox dans une main et une pile de timbales en fer dans l’autre.

- Tu veux un peu de café ?
- Je veux bien, lui répond sa compagne.

Il l’aide à s’asseoir et lui sert une tasse d’un liquide noir, bouillant. La jeune femme croise les jambes et tourne la tête vers le corps inerte du défunt Samuel. Ses mains tremblent et ses épaules se crispent sous les sanglots silencieux qui l’étreignent. Je lui aurais bien dit de se rallonger et de rester tranquille, mais je ne me sens pas le courage d’interrompre ses pleurs.

Après avoir fait le tour de ses compagnons – y compris Tim qui boude toujours – Khenzo s’arrête à ma hauteur pour me tendre sa dernière timbale.

- Tu n’en veux pas ?
- J’aurais l’occasion d’en boire plus tard. Prend-la, insiste-t-il en me la mettant de force dans les mains.
- Merci.

Il hoche la tête et s’assoit à son tour à mes côtés. Son regard s’attarde un instant sur Camélia qui pleure toujours en silence. Sa mâchoire se contracte et ses traits se durcissent. Il semble absorbé par d’intenses réflexions que je n’ose pas troubler. Rien de ce que je pourrai dire ne leur ramènera leur camarade. 

- J’espère que tu ne lui en tiendras pas trop rigueur, finit-il par dire. Il a été un peu brutal, mais comme tu as pu l’entendre, nous avons perdu trois des nôtres récemment. Je pense que tout ça le touche plus qu’il ne veut l’avouer.
- Trois ? Mais il n’y a qu’un…
- Un affrontement avec une patrouille du PPNG qui a mal tourné, il y a quelques jours, me coupe-t-il d’un air sombre. Ils sont de plus en plus nombreux dans le secteur. Nous avons réussi à nous replier, mais Dan et Julie y sont restés.
- J’en suis désolée…

Le silence retombe entre nous. Malgré tout, Khenzo ne semble pas disposer à me fausser compagnie. Près du feu, sous l’ordre de Tim, deux personnes se lèvent, puis sortent du hangar par une porte dérobée vers le fond de la grande pièce. Je suppose qu’ils vont entamer leur quart pour surveiller la zone et s’assurer que les Balayeurs ne viennent pas trop fouiner par ici. S’il n’y avait pas ce corps criblé de balles à quelques mètres, le calme apparent et le crépitement des flammes contre les parois rouillées du baril me rappelleraient presque des temps meilleurs. Je ferme les yeux quelques instants.

Aller, c'est parti pour un nouveau personnage !

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