vendredi 16 août 2013

Horizons - Episode 6 revisité


J’emboîte le pas à Khenzo, qui m’emmène vers le fond du hangar. Un homme est allongé, les bras le long du corps, la poitrine criblée de balles. Son visage est couvert par son foulard, masquant ses traits et sa chevelure. Non loin de lui, une jeune femme aux cheveux blonds, parsemés de mèches turquoise, est adossée au mur sur une paillasse, le côté gauche entièrement recouvert de sang. Son t-shirt a été découpé au niveau de l’épaule et un bandage sommaire, réalisé à l’aide de bandes de tissu déchirées, essaye de contenir le liquide rougeâtre qui s’écoule de la plaie. À ce rythme, elle est condamnée si on ne fait rien. Dans la pénombre, je m’agenouille près d’elle. Ses traits sont livides, ses yeux, rivés sur le cadavre, emplis d’une profonde tristesse. Elle souffre en silence, essayant de se concentrer sur sa respiration pour calmer son angoisse. Une odeur de fer et de sueur m’agresse les narines. Je déglutis et tente de rester impassible.

- Qui es-tu ? me demande-t-elle dans un souffle saccadé.
- Garde tes forces. On fera connaissance plus tard.

J’ouvre mon sac et tends une lampe torche à Khenzo pour qu’il me fasse un peu de lumière. Ce dernier prend place de l’autre côté de Camélia, posant une main rassurante sur son front. Dans ma trousse de premiers soins, que je me suis constituée au fil du temps, je prends un flacon et du coton. Avant toute chose, il faut désinfecter la plaie. Je relève les manches de mon manteau avant d’écarter le bandage pour observer la blessure : le sang ne coule pas à gros bouillon, je suppose donc que l’artère principale n’a pas été touchée.

Je me désinfecte les mains, puis, avec soin, je nettoie la chair endommagée, arrachant des grimaces de douleur à la jeune femme. L’écoulement de sang s’est presque tari lorsque Khenzo lève la torche au-dessus de l’orifice. La balle est bien logée au fond, et son extraction ne sera pas facile. Je fouille à nouveau dans ma trousse et sors une pince que je désinfecte à son tour. Camélia s’agite. Son pouls s’accélère et la sueur perle sur ses tempes.

- Tout va bien se passer, lui dis-je d’une voix douce. Compte jusqu’à trente.
- Pardon ?

Malgré la douleur, elle trouve la force de prendre un air surpris.

- Discute pas et compte.

Elle regarde Khenzo, qui hoche la tête.

- Un, deux…

Après une seconde d’hésitation, j’enfonce la pince dans la plaie à la recherche de la balle. Camélia se contracte et laisse échapper un gémissement.

- Ne t’arrête pas de compter ! Allez !
- Trois… qua… quatre… cinq…

Camélia serre la main du jeune homme. Ce dernier me dévisage curieusement. Les mains légèrement tremblantes, je continue de fouiller la plaie, sous le regard inquiet de Khenzo qui m’éclaire au mieux. Le sang se remet à couler, me gênant pour attraper le projectile. La jeune femme serre les dents et accuse la douleur. Je dois me dépêcher. À dix, je manque ma première tentative. Putain de merde. Camélia me regarde d’un air désespéré alors que je triture un peu plus sa blessure.

- Dou… douze… treize… qua…quatorze…

À dix-huit, mes mains cessent de trembler et j’arrive enfin à agripper la balle. Je la retire d’un coup sec. Camélia blêmit et perd connaissance. Tant mieux ; dans les vapes, elle ne souffrira pas. Satisfaite, j’esquisse un sourire discret, puis j’imbibe un linge propre de désinfectant et nettoie la plaie à nouveau. Ensuite, j’attrape une compresse et des bandages pour lui entourer minutieusement l’épaule. Khenzo prend le comprimé que je lui tends.

- Fais lui avaler ça quand elle reprendra connaissance. Elle supportera mieux la douleur et ça fera tomber la fièvre.
- Merci…
- Y’a pas de quoi. Mais il lui faudra de vrais soins, pour être totalement tirée d’affaire.

Khenzo hoche la tête. En me relevant, je m’aperçois que tout le groupe a les yeux rivés sur nous. Certains me regardent avec méfiance, d’autres avec curiosité. Tim, lui, empeste la haine à plein nez. La diplomatie n’a pas l’air de faire partie des qualités de cet homme. C’est peut-être ça qui les maintient tous en vie. Il n’y a pas de place pour ceux qu’il ne choisit pas lui-même, assurant d’une certaine façon la cohésion du groupe. Et j’ai certainement dû lui faire une mauvaise impression en les espionnant tout à l’heure. Ceci dit, à ma place, il aurait agi de même. Et à la sienne, j’en aurais fait autant également…

- Est-ce qu’il y a un endroit où je pourrais me décrasser ?
- Oui, bien sûr, répond Khenzo alors qu’il tire une fine couverture sur Camélia. Tu montes l'escalier que tu vois là-bas et au fond du bureau, il y a une ancienne salle de bain. Il y a de l’eau, mais elle n’est pas potable.

Je traverse le hangar sous le regard attentif de Tim, qui fait signe à deux de ses compagnons de me suivre. L’un d’eux me barre le chemin.

- Tes armes.

Son ton sec ne laisse aucune place à la négociation. Mon regard balaye le hangar, faisant l’inventaire de leur armement. Je ne suis pas en position de force, ici. Je n’ai pas vraiment le choix pour le moment. Il récupère donc mon fusil d’assaut, mon semi-automatique et mes deux couteaux, puis me laisse passer. Je grimpe les marches quatre à quatre, tandis que les deux hommes se postent au pied des escaliers. La pièce est petite et sale, mais on sent qu’elle est souvent occupée. Quelques magazines, datant d’avant la Rupture, jonchent le bureau poussé dans un coin. Il semble qu’on les ait feuilletés récemment, car aucune poussière ne les recouvre. Un cendrier fraîchement rempli repose sur une étagère, et quelques sacs traînent à côté d’une chaise. Je ne prends pas le risque de regarder à l’intérieur, refrénant mon insatiable curiosité. 

Au fond, la salle de bain est aussi lugubre que le bureau. Les carreaux grisâtres sont en partie défoncés et les joints ont pris une couleur noire, dégoulinants de crasse. La douche à l’italienne spacieuse et le receveur semblent en meilleur état que le reste de la pièce, en-dehors de la vitre, rayée et fendue à de nombreux endroits. Mais je ne vais pas m’en plaindre. Même si ce secteur n’est pas encore sous l’emprise de Macrélois, les points d’eau sont difficiles à trouver depuis qu’il a lancé une vaste opération consistant à réduire l’accès à l’eau courante à la population. Avant toute chose, je me dirige vers le lavabo, pour enlever le sang de Camélia qui recouvre mes mains. Puis je remplis mes gourdes vides, en glissant une pastille effervescente dans chacune d’elles. D’ici une heure, l’eau deviendra potable. Je referme le sachet, en me disant qu’il serait grand temps que je me trouve un fournisseur ; il ne m’en reste plus qu’une vingtaine et ça risque de vite devenir problématique.

Une fois la dernière gourde rangée dans mon sac, je me campe devant le miroir. D’une main, je décrasse la surface lisse pour y observer mon reflet. Les paroles de Tim me reviennent en mémoire : « Quel âge as-tu ? Trente ans ? ». J’esquisse un sourire. Ah, s’il savait… C’est vrai que, depuis la Rupture, j’ai vu et vécu bien des choses. Certaines que j’aurais préférées ignorer. En deux ans, j’ai eu le temps de me forger un masque. Sûre de moi. Fière et forte. Impassible aussi. En toute circonstance. Je soupire, lasse de ce quotidien qui me semble sans lendemain. Il y a des jours où le moral est en berne. Aujourd’hui fait partie de ceux-là. Demain, ça ira mieux. La liberté est incompatible avec la faiblesse. Papa et ses proverbes… Mais celui-là, j’y crois dur comme fer.

J’approche un peu plus mon visage du miroir, jusqu’à ce que mon nez touche la surface froide. J’ai les mêmes yeux gris-vert que ma mère. D’après elle, un héritage qui se transmet de mère en fille. Elle aimait dire que les miens étaient les plus beaux de la famille. Sacrée maman. Si fière de sa progéniture. Ça m’agaçait, avant. Mais maintenant, j’aimerais bien entendre à nouveau sa voix douce, faite pour les compliments. Mes cheveux, quant à eux, ressemblent à un grand champ de bataille. Poussiéreux, ils ont pris une teinte blanchâtre. Et mes traits, tirés et creusés par la faim et la fatigue, renforcent un peu plus l’illusion des années supplémentaires. Une bonne douche me redonnera un peu de vitalité.

Avec des gestes lents, je retire mes vêtements et mon bandage, avant de me glisser sous un jet puissant. L’eau est froide et me donne la chair de poule. D’autres souvenirs déplaisants resurgissent, mais je les balaye d’une main, me frictionnant avec énergie. L’eau, grisâtre, s’écoule difficilement par l’évacuation. Il me faut bien vingt minutes pour nettoyer la poussière et la sueur qui me collent à la peau. La plaie sur ma cuisse me tire encore, mais d’ici quelques jours, ça devrait rentrer dans l’ordre. Une fois propre, je me sèche rapidement avec une petite serviette éponge pour passer des vêtements de rechange : un pantalon marron, un t-shirt blanc, et mes fidèles bottines, qui ont partagé toutes mes galères. J’enfile un veston court, puis entreprends de laver mes autres vêtements. Mon short gris a subi quelques accros lors de mes récents exercices d’endurance, qu’il va falloir que je répare. Le reste a l’air en bon état. Après avoir essoré mes habits, j’endosse mon manteau et rassemble mes affaires. J’inspire un grand coup, prête à retourner dans la grande pièce du hangar.

Pendant les vacances, je papillonne. Et j'aime bien.
Je n'ai donc pas avancé sur Horizons, mais sur l'univers de Louve. M'enfin, j'avais encore quelques illustrations en réserve !

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