lundi 10 juin 2013

Horizons - Episode 4 revisité


Je n’ai pas eu le temps de parcourir la moitié de la distance qui me sépare de ce carrefour que l’homme m’a rattrapée et se jette sur moi. Nous roulons à nouveau au sol et j’arrive à prendre le dessus en m’asseyant sur lui. Malgré l’obscurité, il dévie sans difficulté mon crochet du droit visant sa mâchoire et me repousse sur le côté pour se relever d’un bond. Il m’attrape sans ménagement par les épaules pour me remettre debout et me plaque contre le mur le plus proche. Grand et bien bâti, il me dépasse d’une bonne tête et demie. Sa main large et calleuse trouve ma gorge et son manteau en cuir grince légèrement tandis qu’il me soulève du sol. Pour la première fois, je croise son regard. Sombres, ses yeux ne transpirent ni la cruauté, ni la violence. Juste de la colère et une once d’anxiété. Je lâche la sangle de mon sac, pour attraper son poignet et soulager la pression qu’il exerce sur ma gorge. Mes pieds sont à quelques centimètres du sol et je commence à manquer d’air. Si je n’envisage pas une solution radicale, je suis fichue. Mais je vais lui donner une chance.

- Qu’est-ce que tu nous veux ?!

Il a le souffle court et rauque. Le coup que je lui ai donné dans les côtes continue de l’incommoder. Je tente de répondre mais ses doigts se resserrent. Il donne un coup de poing dans le mur, à quelques centimètres de mon visage.

- Tu travailles pour qui ? Répond !

Il relâche légèrement son étreinte, et mes pieds touchent à nouveau le sol. L’air s’engouffre dans mes poumons et je manque de m’étrangler pour de bon. Reprenant mon souffle et, par la même occasion, mes esprit, mon regard quitte le sien pour balayer les environs à la recherche d’une solution qui ne serait fatale pour personne. L’aube approche et l’obscurité se dissipe peu à peu. Un mouvement attire mon attention en direction du carrefour. Je plisse les yeux pour me concentrer sur les silhouettes qui se détachent dans la rue. Cette fois, pas de doute, c’est bien une patrouille du PPNG qui s’approche de nous. Pas cadencés. Uniformes tirés aux quatre épingles. Armes étincelantes. Grâce à la pénombre, ils ne nous ont pas encore vus, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils se rendent compte de notre présence. Paniquée, je fais signe à l’homme qui me tient toujours par les épaules de regarder derrière lui. Intrigué par mon agitation, il jette un regard par-dessus son épaule. Sa poigne s’affermit un peu plus encore. Lentement, il se retourne vers moi.

- Tu es avec eux ? murmure-t-il d’un ton menaçant.

Je fronce les sourcils. Il se fout de moi ? Comme il attend toujours une réponse de ma part, je fais signe de la tête que non. Il baisse les yeux sur mon semi-automatique, à moitié caché par mon manteau et rangé dans son holster sur ma cuisse droite.

- Pourquoi tu n’as pas essayé de me tirer dessus ?

Je peux sentir l’intensité de sa fureur. Visiblement, il n’est pas pote avec le PPNG. Et c’est peut-être ce qui va nous sauver. Mes yeux descendent sur la bosse de son blouson. 

- Je pourrai te retourner la question.
- Une intuition, grogne-t-il.
- Alors, il faut croire que nous avons eu la même intuition.

Il hoche la tête, dardant son regard noir sur moi. Je sais qu’il pèse le pour et le contre. À deux, nous multiplions nos chances de survie face à la patrouille. Mais qu’est-ce qui m’empêcherai de l’abattre ensuite ? Lentement, je lève les mains en l’air, en signe de paix. 

- Tout ce que j’ai pour te convaincre, c’est ma parole. Ces ordures ne sont pas avec moi.

Il me dévisage intensément, puis, après quelques hésitations, il finit par me libérer de son emprise. À croire que ce qu’il a vu en moi était suffisant. L’homme s’écarte légèrement, détache la lanière de son holster et sors son arme.

- Tu prendras les cinq à gauche et moi les cinq autres à droite, murmure-t-il. Compris ?!

Je fais signe de la tête que oui.

- Vous là ! crie l'un des soldats qui nous a enfin repérés. Montrez vos mains ! 

Les autres braquent leur lampe torche dans notre direction et nous mettent en joue, avançant avec prudence. Si nous ne voulons pas bientôt ressembler à deux passoires, il va falloir rapidement passer à l’action. Et nous n’aurons pas le droit à l’erreur.

- À combien de mètres sont-ils ? demande à nouveau l’homme, qui tourne toujours le dos à la patrouille.

Je me décale un peu pour apercevoir les dix soldats armés jusqu’aux dents qui se rapprochent de plus en plus. Ils portent tous un équipement à l’épreuve des balles incluant un casque.

Celui qui nous a déjà interpellés réitère sa question :
- Je ne le répéterai pas une troisième fois ! ajoute-t-il d’une voix puissante et menaçante.
- Ils sont à trente mètres environ. Il va falloir leur tirer dans le cou ou le visage, si on veut les tuer. Nos balles ne passeront pas leur casque et leur plastron.
- Bien. Tu es bonne tireuse ?
- Je me débrouille.
- Alors… maintenant !

Tout en me jetant sur la gauche pour me mettre à couvert, je dégaine mon Wallgon-X et tire sur les cinq hommes à gauche qui répliquent sans prendre le temps de viser. Toutes mes balles font mouche. Et avant même de comprendre ce qu’il leur arrive, les cinq hommes se retrouvent à terre. Headshot, comme on dit. Papa, tu serais fière de moi, pensé-je amèrement. De son côté, mon compagnon de fortune éprouve plus de mal à abattre ses cibles. Deux hommes gisent au sol ; l’un d’eux semble inerte et l’autre se contorsionne de douleur en hurlant. Les trois derniers se sont réfugiés derrière une carcasse déglinguée de voiture et tirent par-dessus à l’aveugle. Trop occupés à s’acharner sur mon acolyte, ils m’ont carrément oublié. Je crois bien qu’on a affaire à des bleus. Une chance pour nous.

Je rampe entre deux tas de gravats avant de m’accroupir. Il ne m’ont toujours pas vue. Rapidement, je courre me planquer derrière un panneau de publicité pour les contourner. Là, je reprends mon souffle pour me calmer. Mes deux mains tremblent sur mon arme, et j’ai les jambes en coton. Une bourrasque de vent fait rouler un sac poubelle éventré vers moi. L’odeur du cadavre d’un rat en décomposition qui dépasse des déchets me prend aux tripes. C’est immonde. Je remonte mon foulard sur mon nez, avant de m’accroupir pour jeter un œil sur le côté. Les trois hommes continuent de vider leur chargeur sur le mur d’en face. Vachement utile, pensé-je, sarcastique. Et il n’y en a même pas un pour couvrir leur position ! Mes mains ont cessé de trembler, ma respiration est lente et profonde. Je peux repasser à l’action. Je me décale d’un pas, vise et tire. Trois tirs parfaits qui achèvent l’unité du PPNG. Mes oreilles bourdonnent légèrement, avant de se réhabituer au silence de la mort. Des bleus. C’est tout ce qu’ils étaient. 

L’homme avec qui je me battais, il y a quelques instants à peine, se relève et pointe son arme dans ma direction, prêt à tirer. Si j’avais voulu le tuer se serait déjà fait. Il le sait. Alors, il range son arme sous sa veste, puis me rejoint aux côtés des corps inertes, l’air déconcerté. La colère a disparu de ses yeux et, toujours un peu perplexe, il se passe une main dans les cheveux. Nous allons peut-être pouvoir repartir sur de bonnes bases. En admettant que la mort de ces dix hommes soit une bonne base…

- Pourquoi tu ne m’as pas tué ? Et qu’est-ce que tu faisais à nous surveiller ? demande-t-il à nouveau sans détours.

J’époussette mon manteau et me dirige vers mon sac. Mais l’homme m’attrape le poignet pour me forcer à le regarder. Je me dégage sèchement et récupère mes affaires avant de revenir auprès des cadavres, tout en vérifiant l’écran du détecteur de chaleur. Les dix points rouges ne vont pas tarder à s’éteindre les uns après les autres. Si j’avais le temps, je leur donnerais une sépulture décente… comme aux autres. C’était des êtres humains après tout. Mais connaissant leurs procédures, cela n’allait pas être possible. Au moins, ils n’auront pas le temps de pourrir à l’air libre comme ce rat.

- Si cette patrouille n’était pas passée par ici, tu serais mort.
- Tu sembles bien sûre de toi, réplique-t-il froidement en s’agenouillant auprès des soldats.
- Quant à tout à l’heure, j’étais juste curieuse. Et visiblement ça ne me réussis pas vraiment, rajouté-je plus pour moi-même que pour mon interlocuteur.

L’autre ne réagit pas, trop occupé à fouiller les poches des morts pour récupérer ce qui pourrait lui être utile. J’ai toujours du mal à me faire à cette pratique, mais les temps sont durs, et ce n’est pas moi qui le blâmerais. Je sors mon Mémo et lui demande de me calculer un nouvel itinéraire pour la journée.

- Je te conseille de ne pas trop trainer dans les parages, une autre patrouille va bientôt débarquer pour voir ce qu’il est advenu de celle-là, lui dis-je doucement en rangeant l’appareil dans mon sac.

L’homme hoche la tête.

- Je sais. Qui es-tu ? me demande-t-il brusquement en se relevant.
- Qu’est-ce que ça peut te faire ?

Je lève les yeux vers le ciel. L’aube pointe enfin le bout de son nez à l’horizon, propageant une lueur rougeâtre au-dessus des carcasses des buildings et des maisons noyées sous les débris. Le spectacle de la déchéance humaine qui s’offre à nous a quelque chose de grandiose. Et d’effrayant.

L’homme se plante devant moi. Je le dévisage. De par sa carrure et sa voix grave, je pensais qu’il était plus âgé, mais en réalité il doit avoir une vingtaine d’année. La faim et la fatigue nous changent tous.

- Comment tu t'appelles ? insiste-t-il.

Je soupire et malgré moi je lui réponds :
- Xalyah.
- Pardon ?
- Xalyah... c'est mon prénom.
- Khenzo.

Il me tend la main, mais je ne réagis pas. J’ai de nouveau les yeux rivés sur le détecteur de chaleur et ce que je vois n’est pas franchement réjouissant. Visiblement, le groupe du jeune homme, qui me tend toujours la main, est retourné sur ses pas et ils ne sont pas seuls. De nouveaux points rouges lumineux s’agitent un peu partout sur l’écran. Je fronce les sourcils. Soudain, plusieurs détonations résonnent au loin pour mourir à travers les ruines. Et merde…

La main de Khenzo retombe le long de sa cuisse. Ses traits se durcissent et ses muscles se contractent sous ses vêtements.

- C’est bien ce que je pense ? demande-t-il en grinçant des dents.
- J’en ai bien peur.


Ce n'est pas encore terminé, mais voilà où j'en suis pour le moment sur l'illustration de Tim !