vendredi 9 novembre 2012

Destins croisés - Episode 10


Nous mîmes trois heures avant d’arriver à l’orée de la forêt. La voiture refusait d’aller plus loin, expliquant qu’elle n’avait pas l’autorisation de circuler au-delà des frontières de la Cité. D’après la position du GPS nous étions encore loin de l’objectif d’Erick. Il nous faudrait plusieurs jours de marche pour y arriver. Je décidai donc d’arracher les fils du boitier de sécurité de la voiture. La voix crachota pendant quelques secondes encore son avertissement, puis le silence retomba dans l’habitacle. Je branchai le mode manuel et repris la route. Ce devait être la deuxième ou troisième fois que je dirigeais moi-même une voiture, et je n’étais pas franchement à l’aise. Nous croisâmes, deux navettes qui reliaient la Cité à ses jumelles, quelques véhicules autorisés à rouler en-dehors des frontières des Cités, puis plus rien. Sur près de trois cents kilomètres nous parcourûmes cette ancienne autoroute, encadrée par des arbres vieux de plusieurs siècles. 

Erick me fit emprunter une sortie rocailleuse qui nous mena droit dans les entrailles de la forêt. Lorsqu’il ne fût plus possible d’avancer, je coupai le moteur et déverrouillai les portières. Nous descendîmes, et inquiète je contemplai la silhouette de la forêt aux formes obscures et hostiles. Je n’avais aucune envie de rentrer là-dedans. Erick sentit ma réticence et me tira par la main pour m’entraîner à sa suite. En franchissant la barrière qui interdisait l’accès à la forêt, je me mis à le suivre d’un peu plus près, pas franchement rassurée par les bruits inconnus qui s’élevaient sur notre passage. Cette ambiance sonore ne m’était pas familière. L’homme que je suivais m’adressa un sourire d’encouragement. J’esquissai une grimace en guise de réponse et lui fit signe de ne pas s’occuper de moi. J’affronterai mes peurs, seule, comme toujours. Je ne savais pas ce qu’espérait trouver Erick dans cette forêt et je n’étais pas vraiment pressée de le découvrir. 

L’histoire de cette forêt me revint en mémoire. Quelques siècles plus tôt, les Hommes des pays dits « développés » abandonnèrent les campagnes et les petites villes pour grossirent les mégalopoles déjà existantes. Pour la toute première fois, l’exode urbain de cette période sonna la fin de la décentralisation et des campagnes comme nos sociétés les avaient connues. Cet exode urbain sonna également le début de l’ère de la dématérialisation et de la biomécanique comme l’appelèrent les historiens. Pour moi c’était plutôt le début de l’ère du grand n’importe quoi. Perte des repères, perte des valeurs, perte du sens premier de la justice. L’égoïsme humain s’en retrouva exacerbé et le monde commença à courir à sa perte. Dans un premier temps des voix s’élevèrent contre ce mode de vie absurde, mais elles se firent de plus en plus rare, et bientôt les dernières personnes qui osaient encore s’élever contre les institutions étaient prises pour des hérétiques et jetés hors des Cités. Voilà comment l’Homme procéda à la plus grande épuration de son espèce. 

Après cet exode urbain, et cette purge sans précédent la végétation reprit le dessus sur ce qu’avaient laissé les Hommes derrière eux. Des légendes urbaines racontaient que de nouvelles formes de vie s’étaient développées, des organismes vivants issus des déchets radioactifs, dotés d’intelligence supérieure. Bien sûr ce n’étaient que des légendes. Mais notre société paranoïaque était arrivée à un niveau de paroxysme tel que les gens voyaient le mal dans la moindre forme de vie. Notre société était fondée sur la peur, la méfiance et la délation. C’était ma vision des choses, et il n’était pas bien venu d’en parler ouvertement. 

Cette forêt était telle qu’on me l’a souvent décrite. Sombre et dense. Le sol meuble s’affaissait sous nos pieds et étouffait le son de notre progression. Ce n’était pas tant la forêt en elle-même qui me faisait peur, mais il y avait longtemps que je ne m’étais pas autant éloignée de La Cité et cela n’avait rien de rassurant. 

Nous parcourûmes des dizaines de kilomètres sans nous arrêter. Je n’en pouvais plus, j’avais les jambes lourdes, et la tête me tournait dangereusement. Je n’étais pas habituée aux longues marches harassantes. Néanmoins je n’avais pas l’intention de me plaindre, et je continuai à suivre mon étrange collègue, ne m’appliquant plus qu’à poser un pied devant l’autre, comme une automate.

Toujours la même série !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire