mardi 29 mai 2012

Ashatah



« Accoudé au bastingage du navire il savourait ce fameux vent avant la tempête avec délice. Raenir aimait vivre dangereusement, alors quand il avait su qu’un équipage se préparait à aller en haute mer pour rejoindre les îles d’Elande, il avait tout fait pour en être. Sa mère avait essayé de le convaincre de renoncer à cette folie, en vain. Lui ne rêvait que d’aventures et d’épopées fantastiques, alors sa place d’apprenti boulanger chez le vieux du village était loin de lui apporter ce qu’il attendait de la vie.


Ici, face aux éléments naturels il sentait l’adrénaline lui monter à la tête et ses rêves d’enfant devenir réalité. Il se remémora avec tendresse les larmes que sa mère n’avait su retenir sur le quai du port. Silhouette fragile au milieu d’une foule de badauds bruyante, elle avait sorti son mouchoir blanc pour se tapoter les joues avec douceurs et essuyer les rivières de larme qui coulaient jusque dans son cou. 

Elle se savait condamnée par une maladie incurable, et même l’Ordre n’avait pu trouver un remède contre ce mal qui la rongeait. Mais qu’importe, sa mère continuait sa vie malgré la maladie, et Raenir était fier de sa force. Il voulait qu’elle soit fière de lui à son tour, et pour cela elle devait le laisser partir. Tous deux avait toujours su que ce jour arriverait. 

- Hey, l’avorton ! cria un matelot aguerri dans le dos du jeune homme. Au lieu de bailler aux corneilles vient me donner un coup de main. Le pont doit être  dégagé. La tempête arrive. 

Le jeune homme se redressa et s’étira de toute sa longueur avant de rejoindre au petit trot l’homme d’âge mur qui lui tendait plusieurs bouts. 

- Va me les ranger dans la cale et revient me voir après. J’ai encore du boulot pour toi. 

Raenir acquiesça avec le sourire et partit en courant pour ranger le matériel. Il aimait se rendre utile et était avide d’apprendre un tas de nouvelles choses. En chemin il croisa d’autres matelots qui s’affairaient à attacher tout ce qui pouvait être dangereux en cas de grosse mer. L’adreline monta un peu plus et le jeune homme se dépêcha de revenir sur le pont. A deux ils ramassèrent tout ce qui trainait, rangèrent l’équipement qui n’avait plus rien à faire ici et s’assurèrent que tout était en ordre. Satisfait le matelot fit claquer sa main dans le dos de Raenir qui manqua de voler sous le coup. 

- C’est bien mon garçon. Continue comme ça et un jour peut-être tu auras ton propre équipage. 
- Oui monsieur. 
- Ne traine pas trop ici, la tempête sera sur nous d’un moment à l’autre et tu ferais mieux de rester à l’intérieur. 
- Bien monsieur. 

L’homme prit le dernier seau qui trainait et partit rejoindre les matelots qui attendaient les ordres des officiers. Raenir se détourna pour aller à la proue du navire. Le nez au vent il défia du regard le ciel noir qui se profilait à l’horizon. La mer moutonnait de plus en plus et quelques gros rouleaux commençaient à faire leurs apparitions. 

- Moi Raenir, fils de Maelen, je n’ai peur de rien ni personne ! hurla le jeune homme en serrant le poing. Un jour je serais le maître de ces océans et de ses mystères ! Un jour je saurais enfin la vérité sur les îles d’Elande et on chantera à ma gloire ! Mère, tu seras fière de moi je te le promets ! 

Un roulement de tonnerre suivit la déclaration enflammée du jeune homme et de grosses gouttes commencèrent à s’écraser sur les voiles et le pont. Raenir sourit et fit la révérence. 

A cet instant il crut apercevoir un visage à travers l’écume des vagues qui déferlaient sur la coque du navire. N’étant pas certain de ce qu’il avait vu, il se pencha un peu plus pour scruter les eaux sombres qui se déchaînaient de plus en plus. Stupéfait il faillit lâcher le bout qu’il tenait entre ses mains, derniers liens qui le retenait encore à bord. Il n’avait pas rêvé. Un visage d’ange aux cheveux mordorés était en train de se matérialiser sous les eaux. Quand elle ouvrit les yeux, le visage avenant et paisible de la jeune femme se teinta de colère et de fureur. 

- Qui es-tu pour croire qu’un jour tu règneras en maître ici ! gronda-t-elle d’une voix à la fois douce et tranchante. 

Raenir recula sur le pont en balbutiant tandis que l’apparition prenait pied sur la proue du navire. Sa peau claire et translucide était à peine couverte d’une robe qui semblait fait d’eau et d’air, et ses yeux pâles se posèrent sur le jeune homme avec insistance. 

- Je t’ai posé une question humain ! Ces eaux ne vous appartiennent pas. Encore moins les îles d’Elande. S’il est dit qu’aucun d’entre vous n’y mettra les pieds alors ne doutez pas que c’est ce qu’il arrivera. 
- Ashatah… souffla Raenir toujours abasourdi de ce qui lui arrivait. 
- C’est bien tu connais au moins mon nom. Mais cela ne te sauvera pas. 

Sur ces mots, elle leva les bras en direction du ciel et la mer se déchaina de plus belle sous l’orage. Le navire chavira brutalement et le jeune homme eu l’heureux réflexe de se rattraper au bout de de la grande voile pour ne pas être projeté au fond de l’océan. Mais le bâtiment commençait à prendre l’eau alors ce n’était qu’une question de temps avant qu’il y passe. 

- Voilà ce qui se cache derrière les îles d’Elande… murmura le jeune homme. 

Dans sa tête le tableau qu’il s’évertuait à compléter depuis des années prenait enfin tout son sens. 

- Mère, soit fière de moi et ne pleure pas. Nous nous reverrons bientôt. 

Raenir lâcha prise. Il était prêt à accepter son destin si les dieux en avaient décidé ainsi. En paix avec lui-même et ses désirs il ferma les yeux et sourit. 

- Peut-être pas. Et elle aura d’autant plus de raison d’être fière de toi. 
- Pourquoi ? demanda le jeune homme en ouvrant les yeux pour se trouver nez à nez avec Ashatah qui l’accompagnait dans sa chute. 
- Un jour tu le sauras. 

Heureuse comme jamais elle ne l’avait été, la déesse des océans disparut dans les eaux tumultueuses avec Raenir. Elle avait enfin trouvé son premier Arkhan : Raenir dan Arkhan. » 


Récit des divinités Tezone, Acte I, An 522



Et voilà Ashatah, que nous avons brièvement aperçue dans le récit de la déesse de la mort Nishimeu. En parallèle le récit de nos deux héros, Eryck et Eléonaure, vient d'entamer sa 70ème page sur word. Je crois que j'ai trouvé un bon rythme de croisière pour faire avancer le schmilblick comme on dit.

Et pour finir, voici Uzu revisité pour coller à la nouvelle ligne graphique de la série des Dieux Tezons.

jeudi 17 mai 2012

Brackaz





« La journée avait été longue, très longue. L’une des plus meurtrières de la campagne d’ailleurs. Jizeo posa sa chope de bière aigre sur la table et congédia ses hommes. Leur décision était prise ; demain ils jetteraient leurs dernières forces dans la bataille. Voilà plusieurs mois que cette campagne s’enlisait, ses hommes étaient las et lui aussi. Leurs femmes, leurs enfants et leurs terres leur manquaient.


Demain ils auraient peut-être une chance de mettre un terme à ce conflit. Les Dabaïens n’étaient plus très nombreux, et leur vigueur des premiers mois avait fait place à la résignation. Tout comme eux, Jizeo ne voulait plus de cette guerre. Le prix à payer pour une dispute entre noble à la frontière des deux pays était trop élevé. Mais tout comme les soldats dabaïens il n’avait pas son mot à dire. Quand les nobles avaient décidé de faire la guerre, les soldats suivaient et exécutaient les ordres.

Le seul moyen pour Jizeo d’arrêter ce massacre était de porter un coup décisif à l’ennemi. Jusqu’à présent il avait joué la prudence pour protéger les jeunes recrues et les corps de l’armée les plus faibles en n’envoyant que les plus aguerris de ses soldats. Cela n’avait finalement servi qu’à allonger la durée de cette pénible campagne. Alors demain il frapperait dur et fort. Il impressionnerait l’ennemi par le nombre, le dérouterait par la ruse et l’infiltration, l’anéantirait par la puissance commune de sa cavalerie lourde et des trois jeunes templiers fournis par l’Ordre.

Oui, cela devrait suffire pour mettre un terme à cette guerre. Dans le meilleur des cas les dabaïens accepteraient de signer un traité de paix, dans le pire des cas Jizeo serait contraint de donner l’ordre d’exécuter tous les survivants ennemi. Cette idée le répugnait d’avance, mais il savait qu’il n’aurait peut-être pas le choix.

Jizeo sortit de sa tente et salua de la tête les soldats qui montaient la garde. Il passa sur ses épaules la lourde cape qu’on lui avait remise lorsqu’il avait pris ses fonctions de général et se dirigea vers l’extérieur du camp.

Ses sandales foulèrent l’herbe rase et le portèrent jusqu’au bord de la falaise qui dominait le champ de bataille prévu pour demain. Le crépuscule rougeoyant donnait une atmosphère lugubre à ce qui serait le théâtre d’une joute sanglante. L’homme soupira, conscient qu’il n’avait fait que retarder l’inévitable.

Puis il ferma les yeux et pensa à sa femme, Felinia, et son fils, Limo. Comment se débrouillaient-ils sans lui à la ferme ? Est-ce que le vieux Aroloz veillait bien sur eux en son absence comme il le lui avait demandé ? Est-ce que son fils se débrouillait bien comme apprenti maçon ? Est-ce que la grossesse de sa femme se déroulait bien ? Tant de questions auxquelles il aurait aimé avoir des réponses. Le sourire de Felinia et sa douceur lui manquait. Les rires et les bêtises de Limo lui manquaient. Les odeurs des champs lui manquaient. Les hennissements de ses cheveux et les aboiements de ses chiens aussi.

Au fond de lui Jizeo savait qu’il était fait pour le travail de la terre plus que pour celui de la guerre.

Des bruits de pas dans son dos le sortirent brutalement de ses pensées. Comment avait-on pu l’approcher d’aussi près sans qu’il n’entende rien.

- Bonjour Jizeo, murmura une voix douce et grave.

Le général Tezon se retourna lentement. Un homme marchait à pas de velours dans sa direction. Bâti comme un taureau il dépassait Jizeo de deux bonnes têtes et était vêtu pour la guerre. En y regardant de plus près la facture des vêtements était exceptionnelle et semblait venir d’une autre époque. Derrière une barbe rousse drue et fournie l’homme sourit à Jizeo.

- Ta famille et ta terre te manque soldat ? demanda-t-il en prenant place aux côtés du général sur le bord de la falaise.

Jizeo lâcha un soupir et se tourna à nouveau vers la vallée.

- C’est donc comme ça que ça doit se passer, Brackaz ?
- Oui, j’en ai bien peur.

Le géant barbu posa une main amicale sur l’épaule de l’homme qui retenait difficilement ses larmes.

- Est-ce qu’au moins l’issu de la bataille sera favorable à un traité de paix ?
- Oui, je ferai en sorte que ce le soit.
- Bien. C’est mieux ainsi, murmura le général Tezon.

Le silence retomba entre les deux hommes seulement interrompu pour le cri lointain d’une chouette. Jizeo roula des épaules et releva la tête vers la lune.

- J’aurais tellement aimé les revoir une dernière fois. Qu’ils sachent à quel point je les ai aimé et je les aimerais toujours.
- Si tel est ton souhait il sera exaucé, répondit Brackaz d’une voix profonde.
- Pour quelle raison feriez-vous cela ?
- Parce qu’une fois le soleil au zénith tu me reviendras.
- Pourquoi moi ?
- Tu as toutes les qualités requises à mes yeux pour être à mes côtés, Jizeo. Mais je ne prends rien sans contrepartie. Cette nuit tu seras avec les tiens, et demain au coucher du soleil, le traité sera signé entre les deux parties, assurant la paix dans la région pour au moins deux décennies.
- L’offre est généreuse, je dois le reconnaître.
- C’est le moins que je puisse faire pour celui qui m’accompagnera l’éternité durant. Une dernière chose avant que tu ne rejoignes ta femme et ton fils ; prend ceci, il te donnera force et courage jusqu’à ce que l’heure soit venue.

Jizeo prit le médaillon que lui tendait le géant : une pièce en argent frappée d’un demi-cercle traversé par une ligne accompagnée de deux petits cercles.

- Puisqu’il doit en être ainsi…

Brackaz sourit en regardant l’homme qui s’apprêtait à voir pour la dernière fois ceux qu’il aimait avant de rencontrer Nishimeu sur le champ de bataille ; il avait fait le bon choix, à présent il en était certain. Le dieu de la guerre et de la terre avait trouvé son premier Damë : Jizeo din Damë. »

Récit des divinités Tezone, Acte I, An 522

Et en extra, voici la version revisitée de Clezo. Je pense refaire également Uzu et Nishimeu dans la même veine que ces deux-là.