mardi 18 décembre 2012

Soir d'orange




J’ai trente et un an. Depuis hier. Tout dans la vie m’a réussi jusqu’à présent. J’ai fait de brillantes études scientifiques. J’ai rapidement obtenu un poste dans une entreprise novatrice. Je me suis marié il y a quatre ans. J’ai acheté un appartement de haut standing. Et ma dernière acquisition est ce magnifique cabriolet rouge mat avec une bande blanche brillante qui souligne sa silhouette coupée sport. Jusqu’à présent. Car il y a peu j’ai été muté à la tête d’un projet où, même si sur le papier ça avait l’air prometteur, aucun moyen ne m’était mis à disposition pour je puisse atteindre mes objectifs. Une impasse. Ou un placard déguisé. Au choix. Et ma femme, Lucie… Charmante au départ, elle se révèle être un véritable enfer dans ma vie, vampirisant tout ce qui peut m’appartenir de près ou de loin. De très loin maintenant. Alors j’ai décidé de prendre le large. Quinze jours de vacances dans la maison familiale laissée par ma mère il y a dix ans maintenant. Mon seul jardin secret. Lucie n’y a jamais mis les pieds et elle ne le fera jamais. Et ce n’est pas moi qui la forcerais. Dix ans que je la remets en état, mur par mur, sol par sol, meuble par meuble. Perdue au milieu des bois, et éloignée de la civilisation hurlante qui nous étouffe de son hystérie et de sa folie, c’est mon havre de paix. Le seul endroit qui me raccorde avec moi-même. 

Sur le siège arrière, Théo lance un aboiement désespéré. Plus de huit heures de route auront finalement eu raison de sa patience d’ange. Théo, le dernier caprice de ma femme Lucie. Pour faire comme Amanda et Julie. Fait donc. Mais elle ne fit pas, et j’eus tellement pitié de cette petite boule de poil qui n’avait rien demandé que je la pris sous mon aile pour ces quinze jours. Une bouffée d’air pour lui et pour moi. Entre homme. Si je puis dire. 

Je pris un virage sec à toute allure, profitant de la région désertique pour entendre le moteur rugissant de ce petit bijou de technologie. J’aurais pu me contenter d’un vieux tacot qui ne m’aurait pas coûté un clou. J’aurai pu. Mais j’ai préféré céder à l’irrésistible envie de flamber devant les yeux insondables de cette forêt sombre et attirante qui nous enveloppe comme une mère protège son enfant dans ses bras. 

Après quelques virages supplémentaires, je passais enfin le pont de pierre qui menait à l’entrée de mon domaine. J’avais récemment fait installer une barrière neuve pour délimiter mon havre de paix, et je fus contrarié de constater qu’elle était déjà ouverte. Je m’engageai sur le sentier de terre et de gravier et roulais sur une cinquantaine de mètres avant de m’arrêter devant la porte du garage. Une Land Rover d’un noir étincelant était garée quelques mètres plus loin sur la pelouse. Je ne voyais pas à qui elle pouvait appartenir, et c’est avec appréhension que je fis descendre Théo de la voiture. Comme un enfant innocent il courut en glapissant de joie pour marquer son nouveau territoire. Bienvenu à la maison Théo. 

Je sortis mon sac de voyage noir du coffre pour le poser sur la balancelle de la terrasse couverte tout en jetant un coup d’œil par la fenêtre de la cuisine, mais il semblait que personne n’ai franchi le seuil de la porte car elle était toujours verrouillée. Théo me rejoignit alors que j’inspectais le bas de la maison. La cuisine et le salon était encore en chantier, mais ça commençait à prendre forme, peu à peu. Et j’espérai bien terminer cette partie les quinze jours à venir. Il ne me resterait plus que le garage et le cabanon de jardinage à remettre en état. La rénovation de cette maison était ma construction personnelle. A mesure qu’elle prenait forme je m’apprivoisais, comprenant qui j’étais et ce que je voulais. Ce que Lucie ne comprendrait jamais. 

Toujours inquiet par la présence de la Land Rover sur mon terrain, je passai par le garage et prit le fusil de chasse qui avait appartenu à mon père. Un jour. Et, Théo sur les talons je passai par l’arrière pour explorer mes terres à la recherche de mes hôtes mystérieux. Au détour d’un sentier qui menait vers les sous-bois je découvris une tâche de sang frais sur le sol. La première d’une longue série qui m’enfonça un peu plus dans l’épaisseur de cette mère à la fois sombre et bienveillante. Le cœur battant la chamade je gravis une petite butte persuadé que je trouverai la réponse à mes questions derrière. J’épaulai mon fusil chargé, avançant en silence sur la mousse humide. Et c’est là que je la vis pour la première fois.

***


Voici une deuxième nouvelle presque achevée. Elle a un début, un milieu et une fin... mais elle n'est pas parfaite ! J'aimerai bien retravailler la fin qui arrive un peu trop vite et modifier quelques petites choses. Mais c'est déjà un bon début je trouve. Si ça vous intéresse d'en lire un peu plus vous trouverez les 8 premières pages ici

jeudi 15 novembre 2012

Destins croisés - Episode 11


Alors que nous débouchions sur une petite clairière Erick s’arrêta brusquement et regarda autour de lui, aux aguets. Il me fit signe de garder le silence et partit inspecter les environs. Tandis qu’il s’éloignait, une ombre passa derrière moi. Je me retournai vivement, tous les sens en alerte. Sans autre formalité l’ombre se matérialisa dans mon dos et m’attrapa par les cheveux. Je poussai un hurlement de rage et m’égosillai à pleins poumons pour prévenir Erick, mais la masse de muscle me broya la mâchoire pour m’empêcher de crier. A ce moment, une autre silhouette passa dans les fourrés devant moi et se jeta sur mon assaillant. Je roulai au sol et me relevai tant bien que mal. Erick était aux prises avec un colosse encore plus impressionnant – si c’était possible – que Joastin ; il portait le même accoutrement étrange en métal, des gants de cuir recouvraient ses avant-bras et une large épée pendait à sa ceinture. Erick évita deux crochets du gauche en une adroite roulade. Il se releva, alerte, et balança son pied droit en direction de la tête du soldat. L’homme encaissa le choc sans ciller et repartit à la charge un poignard bien ancré dans une main. Alors qu’Erick esquivait lestement les attaques lourdes et peu précises du molosse, je cherchai frénétiquement autour de moi quelque chose qui aurait pu me servir d’arme. Je trouvai un long morceau de bois, l’air aussi solide que de la pierre. Je le brandis maladroitement au-dessus de ma tête et chargeai la montagne de muscle qui me tournait le dos. Le choc résonna jusque dans mes os, et je dû resserrer ma prise comme une forcenée sur la branche pour arrêter les tremblements de mes bras. L’homme se retourna et ricana en me voyant trembler de tous mes membres. 

- Tu n’impressionneras pas Traedos avec ça, femme ! aboya-t-il. 

Sa voix était rugueuse et âpre comme le vinaigre. Erick profita de ce moment d’inattention pour le frapper une nouvelle fois à la tête et le heaume se détacha. L’homme arborait un sourire carnassier et son regard glacial semblait pouvoir vous paralyser en un instant. Ses cheveux noirs et gras étaient retenus en une longue tresse, comme Joastin, et sa barbe en bataille recouvrait sa large mâchoire. Suivant mon instinct, je bondis en avant et le frappai à la tempe alors qu’il se retournait vers Erick. Il chancela, et j’eus l’impression que quelque chose s’évanouit dans les airs. Mon collègue souffla alors une série de mot dans une langue étrangère et de longs fils bleus sortirent de ses doigts. Ils s’insinuèrent dans le corps de Traedos par tous les orifices. L’homme hurla à la mort et son corps de convulsa en de violents spasmes. Sa chair se mit soudainement à gonfler, à tel point qu’il finit par éclater, répandant morceaux de chairs, viscères et organes, autour de l’endroit où il s’était tenu vivant quelques secondes auparavant. Je sentis du sang gicler sur mon visage et fermai instinctivement la bouche et les yeux. Le calme était revenu. Je regardai autour de moi, une lueur mordorée s’élevait des restes du soldat qui disparurent dans un voile brumeux. 

Je n’en croyais pas mes yeux. Mon esprit refusait la réalité qui était pourtant incontestable. Erick ramassa son livre et mon rejoignit, pas plus terrifié que cela. 

- J’avais créé un cercle de protection ici, la première fois que je suis arrivé dans ce monde, dit-il pour lui-même. Mais il faut croire que ce n’est plus suffisant pour les retenir. Je ne vois plus qu’une seule solution. 
- Laquelle ? demandai-je encore toute engourdie par la lutte qui s’était déroulée. 
- Détruire la source du problème, répondit-il avec hargne. 
- Et qui est… ? 
- Cardanas pardi ! A quoi penses-tu ? s’écria l’homme qui acceptait la mort si froidement. 

Je détournai le regard et contemplai la petite clairière. 

- A quoi je pense…, répétai-je encore sous le choc. A vrai dire c’est un peu confus. 

Mais Erick m’ignorait déjà et farfouillait dans son sac de voyage qui était resté quelques mètres plus loin. Il en sortit le petit carnet noir que je n’avais pas eu le temps d’examiner ; il le feuilleta à toute vitesse puis posa un doigt victorieux sur l’une des pages. Il alla se placer au centre de la clairière et commença à psalmodier d’étranges formules. L’air se rafraîchit soudainement et un vent violent s’engouffra entre les arbres et la végétation avoisinante pour tourbillonner autour d’Erick. Un éclair aveuglant me força à détourner le regard, et quand mes yeux revinrent sur lui, un trou flottait dans les airs à ses cotés, comme une plaie béante faite à l’univers. Souriant à pleine dent, il m’appela pour que je le rejoignisse. A ma grande stupeur j’obéis, et avançai dans sa direction. Il me prit solidement par les épaules et me poussa sans ménagement vers la bouche hideuse. La peur se libéra en moi, et un hurlement de terreur sortit de ma gorge tandis que je tombai dans le vide. L’espace d’un instant j’eu la sensation de flotter dans l’infini, comme un point de suspension de le temps. Puis la gravité reprit le dessus. 

La chute fût rude. Mon épaule blessée s’affaissa sous mon poids et ma tête heurta violemment le sol. Je voulus me relever mais Erick choisi ce moment-là pour me tomber dessus, me coupant le souffle et mes dernières volontés. Je fermai les yeux et ne bougeai plus. Je l’entendis grogner alors qu’il se dégageait, me soulageant de son poids. Je ne bougeai pas pour autant. Des étoiles dansaient sous mes paupières closes et un liquide coula le long de ma tempe. Mon crâne n’était que douleur, quelque chose n’allait pas. J’entendis la voix inquiète d’Erick mais ne distinguai pas ses mots. Ses mains prirent mon visage et me tournèrent la tête dans tous les sens ; je sentis qu’il étouffait un juron plus que je ne l’entendis. Il essuya le liquide qui inondait mon visage avec un morceau de tissu tout en pestant, je devais être dans un affreux état.

Et un de plus ! Je passerai à autre chose quand je penserai en avoir fait le tour... ou pas :p

vendredi 9 novembre 2012

Destins croisés - Episode 10


Nous mîmes trois heures avant d’arriver à l’orée de la forêt. La voiture refusait d’aller plus loin, expliquant qu’elle n’avait pas l’autorisation de circuler au-delà des frontières de la Cité. D’après la position du GPS nous étions encore loin de l’objectif d’Erick. Il nous faudrait plusieurs jours de marche pour y arriver. Je décidai donc d’arracher les fils du boitier de sécurité de la voiture. La voix crachota pendant quelques secondes encore son avertissement, puis le silence retomba dans l’habitacle. Je branchai le mode manuel et repris la route. Ce devait être la deuxième ou troisième fois que je dirigeais moi-même une voiture, et je n’étais pas franchement à l’aise. Nous croisâmes, deux navettes qui reliaient la Cité à ses jumelles, quelques véhicules autorisés à rouler en-dehors des frontières des Cités, puis plus rien. Sur près de trois cents kilomètres nous parcourûmes cette ancienne autoroute, encadrée par des arbres vieux de plusieurs siècles. 

Erick me fit emprunter une sortie rocailleuse qui nous mena droit dans les entrailles de la forêt. Lorsqu’il ne fût plus possible d’avancer, je coupai le moteur et déverrouillai les portières. Nous descendîmes, et inquiète je contemplai la silhouette de la forêt aux formes obscures et hostiles. Je n’avais aucune envie de rentrer là-dedans. Erick sentit ma réticence et me tira par la main pour m’entraîner à sa suite. En franchissant la barrière qui interdisait l’accès à la forêt, je me mis à le suivre d’un peu plus près, pas franchement rassurée par les bruits inconnus qui s’élevaient sur notre passage. Cette ambiance sonore ne m’était pas familière. L’homme que je suivais m’adressa un sourire d’encouragement. J’esquissai une grimace en guise de réponse et lui fit signe de ne pas s’occuper de moi. J’affronterai mes peurs, seule, comme toujours. Je ne savais pas ce qu’espérait trouver Erick dans cette forêt et je n’étais pas vraiment pressée de le découvrir. 

L’histoire de cette forêt me revint en mémoire. Quelques siècles plus tôt, les Hommes des pays dits « développés » abandonnèrent les campagnes et les petites villes pour grossirent les mégalopoles déjà existantes. Pour la toute première fois, l’exode urbain de cette période sonna la fin de la décentralisation et des campagnes comme nos sociétés les avaient connues. Cet exode urbain sonna également le début de l’ère de la dématérialisation et de la biomécanique comme l’appelèrent les historiens. Pour moi c’était plutôt le début de l’ère du grand n’importe quoi. Perte des repères, perte des valeurs, perte du sens premier de la justice. L’égoïsme humain s’en retrouva exacerbé et le monde commença à courir à sa perte. Dans un premier temps des voix s’élevèrent contre ce mode de vie absurde, mais elles se firent de plus en plus rare, et bientôt les dernières personnes qui osaient encore s’élever contre les institutions étaient prises pour des hérétiques et jetés hors des Cités. Voilà comment l’Homme procéda à la plus grande épuration de son espèce. 

Après cet exode urbain, et cette purge sans précédent la végétation reprit le dessus sur ce qu’avaient laissé les Hommes derrière eux. Des légendes urbaines racontaient que de nouvelles formes de vie s’étaient développées, des organismes vivants issus des déchets radioactifs, dotés d’intelligence supérieure. Bien sûr ce n’étaient que des légendes. Mais notre société paranoïaque était arrivée à un niveau de paroxysme tel que les gens voyaient le mal dans la moindre forme de vie. Notre société était fondée sur la peur, la méfiance et la délation. C’était ma vision des choses, et il n’était pas bien venu d’en parler ouvertement. 

Cette forêt était telle qu’on me l’a souvent décrite. Sombre et dense. Le sol meuble s’affaissait sous nos pieds et étouffait le son de notre progression. Ce n’était pas tant la forêt en elle-même qui me faisait peur, mais il y avait longtemps que je ne m’étais pas autant éloignée de La Cité et cela n’avait rien de rassurant. 

Nous parcourûmes des dizaines de kilomètres sans nous arrêter. Je n’en pouvais plus, j’avais les jambes lourdes, et la tête me tournait dangereusement. Je n’étais pas habituée aux longues marches harassantes. Néanmoins je n’avais pas l’intention de me plaindre, et je continuai à suivre mon étrange collègue, ne m’appliquant plus qu’à poser un pied devant l’autre, comme une automate.

Toujours la même série !

mardi 6 novembre 2012

Destins croisés - Episode 9


J’eus du mal à m’éveiller, mon esprit voulait rester dans cette douce torpeur qui m’enveloppait, mais mon corps ressentait le besoin de s’animer. En ouvrant les yeux, je jetai un regard hagard autour de moi ; mes cils avaient du mal à se décoller, et je battis des paupières plusieurs fois avant de retrouver une vision nette. J’étais dans mon lit, et alors que les souvenirs de la veille remontaient en moi, une douleur aiguë transperça mon épaule. J’y portais une main et sentis un bandage solidement attaché. Je n’avais donc pas rêvé. 


Tournant la tête sur le coté, je me rendis enfin compte de la présence d’Erick dans la chambre. Il s’était assoupi dans le petit fauteuil blanc qui meublait un coin de la pièce, comme surpris par le sommeil qui l’avait emporté. Sur ses genoux était disposé le livre rouge ; une de ses mains tenait fermement la couverture patinée par le temps. Il donnait l’impression de protéger une vieille relique au prix inestimable. Il avait dû veiller tard dans la nuit, car ses traits étaient tirés et il avait le teint blafard. Je décidai donc de le laisser là et repoussai mes couvertures. J’avais gardé mon jean et mes chaussettes, mais je n’avais plus mon T-shirt noir. Honteuse en pensant qu’Erick m’avait déshabillée j’attrapai une chemise dans la commode et l’enfilai rapidement. Toujours sans faire de bruit je quittai la chambre pour rejoindre la cuisine et mis la cafetière en route. J’écartais ma chemise et le bandage de mon épaule pour observer la plaie. Elle avait déjà cicatrisé en surface, mais je sentais qu’en dessous les chairs n’étaient pas entièrement refermées. J’enlevai donc le bandage pour le jeter. Il me gênait plus qu’autre chose. 

Je soupirai, quelle nuit étrange… Mon regard se perdit par la fenêtre. L’aube pointait à l’horizon entre les deux grands immeubles de la Tour des Emissions et de l’Empire Economique, pour répandre une lueur verdâtre dans les rues. Le flot de voiture grossissait lentement, et quelques passants couraient d’une voie à l’autre sous la brume de la pollution. Je n’avais jamais aimé cette Cité, tout y transpirait le stress, l’aigreur de la vie, et les effluves âcres que rejetaient les innombrables bouches d’égout. Comment avait-on pu en arriver là ? 

Du bruit derrière moi dissipa mes pensées. Erick se tenait sur le seuil de la cuisine, l’air abruti par le manque de sommeil, ses yeux bouffis étaient injectés de sang et ses cheveux ressemblaient à un champ de bataille ravagé. Il n’avait pas dû dormir plus de deux heures. 

- Tu veux du café ? lui demandai-je en tendant une tasse fumante vers lui. 

Il entra d’un pas lourd, prit la tasse et s’assit à la petite table en résine. 

- Merci. 

Il but une gorgée en silence et son regard s’égara dans le liquide noirâtre. Lorsque sa voix s’éleva ce fût d’un ton déterminé. 

- Nous ne pouvons pas rester ici. 
- Mais… 
- Eléonaure ! me coupa-t-il sèchement. Nous ne pouvons pas rester, nous devons partir. Cardanas a réussi une nouvelle fois à envoyer un de ses sbires ici. Il ne fait plus aucun doute qu’il a établi un lien permanent entre mon monde et celui-là. Le sceau n’a pas été brisé cette nuit. Il enverra d’autres soldats, et tant qu’il ne t’aura pas tuée il en sera toujours ainsi. Tu n’es plus en sécurité chez toi. 

- Ce n’est pas possible de créer des trous dans l’espace et les mondes parallèles n’existent pas, rétorquai-je butée. 

Furieux Erick se leva d’un bond et m’attrapa violemment par l’épaule. Il enfonça ses doigts dans ma chair et rouvrit la plaie qui commençait juste à cicatriser. 

- Tu me fais mal, arrête. 

J’essayai de le repousser mais il raffermit encore plus sa prise. 

- Et ça ce n’est pas réel peut-être ? cracha-t-il. 
- Si, soufflai-je. 

Il me lâcha enfin et reprit sa place devant sa tasse de café. 

- Alors le reste est réel aussi, reprit-il. Nous devons partir aujourd’hui avant qu’ils ne reviennent. 
- Je ne peux pas tout abandonner comme ça. Ce n’est pas possible. 
- Je l’ai fait il y a des années, tu devrais pouvoir y arriver si tu tiens vraiment à ta vie. 

Je hochai la tête et repartis en direction de la chambre. 

Quelques instants plus tard, nous nous tenions sur le seuil de mon appartement. Je jetai un dernier coup d’œil sur ce qu’avait été, l’espace d’un court instant, un foyer, avant de fermer la porte, définitivement. Je n’avais pas de regret, car en réalité rien ne me rattachait vraiment à cette Cité, même si un goût amer me montait à la bouche. Une fois à bord de la voiture, je demandai à Erick où il voulait aller. Je marchais comme dans un rêve. Il mentionna le nom d’une forêt éloignée de la Cité ; personne n’y avait mis les pieds depuis des décennies, cet endroit était revenu à l’état sauvage et la présence humaine n’était plus tolérée. Erick le savait pertinemment et pourtant il maintint son choix. A contre cœur j’indiquai la direction à suivre et le véhicule se mit en route. Le ciel commençait à se couvrir et de grosses gouttes s’écrasèrent sur le pare-brise.

En ce moment c'est ma période "Templier"... ^^

jeudi 25 octobre 2012

Les joies des transports en commun parisiens


« Mesdames, messieurs, en raison d’un accident grave de voyageur veuillez patienter quelques instants. » 

Encore… C’est ce qu’expriment en un accord parfait les dizaines de soupirs qui s’élèvent dans la rame. Puis après nous nous mettons à penser à la signification de ces mots. Accident grave de voyageur. Une vie qui s’éteint, une souffrance insoutenable qui se prolonge, des pleurs, des évanouissements, un traumatisme à vie. Sûrement. Mais cela semble si lointain. 

Pour ne pas penser au pire, les pensées deviennent plus pragmatiques. Que faire ? Patienter quelques instants en espérant que ça aille vite, ou prendre les devants avant qu’il ne soit trop tard. Aller, soyons fous. Patientons quelques instants. 

« Mesdames, messieurs, ce train ne prend plus de voyageur. » 

Finalement non. Les voyageurs, un peu perdus, hésitent. Que faire ? Où aller ? Perdre son temps à maugréer est ce que choisiront la plupart d’entre eux. C’est plus productif, et ça fait toujours avancer les choses. En tout cas ça propage un sentiment d’angoisse et d’urgence. Rien ne va plus, le monde est injuste, c’est toujours la même histoire. Le monde ne sera peut-être plus pour l’un d’entre nous. 

L’indécision jouera en faveur des plus réactifs. Grogner sur un accident grave de voyageur n’a pas beaucoup de sens. Qui sait ce qui s’est passé ? Personne ici. Alors ne précipitons pas les jugements inutiles. Et évitons cette foule qui se ruera inexorablement vers la ligne 4. Dernier recours pour poursuivre vers la banlieue sud. A moins de pouvoir se payer un taxi. A 17h30. 

L’indécision causera leur détresse quelques minutes plus tard, sur le trottoir, à Porte d’Orléans, devant le bus 197. 

« Vous pouvez vous tasser un peu plus au fond ? » crie quelqu’un. 

Non, on ne peut pas vraiment. 

« Messieurs, Dames, veuillez vous avancer un peu plus dans le bus, sans quoi je ne pourrai pas partir. » 

Ah si, finalement on peut. Cette masse humaine pourtant incompressible s’entasse un peu plus, par tous les moyens possibles, dans des espaces de plus en plus réduits. Entre la bonne femme qui hurlera après le chauffeur pour interdire à d’autres passagers de monter car un bus ne doit pas prendre plus de 68 personnes debout, le vieillard de 80 ans qui trouvera divertissant de râler après la dame qui lui a mis son sac dans la figure par inadvertance, alors que ce cher monsieur était assis confortablement, ceux qui joueront des coudes pour se faire de la place, ceux qui sueront à grosses gouttes contre vous, ceux qui manqueront de faire un malaise, … Les poules élevées en batterie en riraient. L’Homme est capable de s’infliger des maux inutiles bien plus souvent qu’Il ne le reconnaitra. 

Dans ces moments-là, le rire est une parade. Tout le monde rira de ce retraité criant qu’à 80 ans il a le droit de voyager assis et qu’il s’en fou royalement que la femme ait passé toute sa journée à travailler debout, péniblement. Oui, nous riront. Elle est belle la vieillesse ! Et la tension descendra subitement d’un cran. Car ce rire jaune et amer que nous partagerons l’espace d’un instant nous rapprochera dans notre misère. Et il soulagera ce poids qui pèse sur nos épaules. Le poids de notre journée de travail, le poids de ces fâcheux incidents de transport à répétition, le poids de la présence trop proche de nos voisins transpirants, le poids de nos ennuis personnels et de ceux des autres, qui flottent au-dessus de nous, exacerbés par cette proximité imposée et subie. Subie mais consentie aussi. 

Nous aimons penser que nous n’avons pas le choix. Pourtant nous l’avons, et nous ne faisons pas toujours ceux qui seront en accord avec nous-même. 

Et quelque part, pendant ce temps, il y a peut-être quelqu’un qui souffre encore. Ou pas. Et nous ne savons pas trop ce que nous pouvons lui souhaiter.

Aller, histoire de changer un peu, voici du quotidien !

samedi 6 octobre 2012

Destins croisés - Episode 8



Une violente douleur me sortit de mes rêves incertains. Mon épaule droite me lançait vivement. Une nouvelle vague de douleur finit par me réveiller totalement, et les lambeaux de sommeil qui s’accrochait à mon esprit s’évanouirent. Prenant conscience de mon environnement, je distinguai nettement une épaisse silhouette penchée sur moi. La première idée qui me vint à l’esprit fût qu’elle ressemblait vaguement à Joastin. La silhouette tenait une épée entre ses deux mains, semblable à celle du colosse que j’avais tué, et elle était fichée dans mon épaule. Je criai de d’effroie et me débattis avec force ce qui ne fît qu’accentuer la douleur. J’avais l’impression qu’on découpait mes chairs avec une lame de feu. Mon assaillant me prit par la gorge d’une seule main et écrasa ma trachée pour faire taire mon cri. Paniquée à l’idée de ne plus pouvoir respirer, j’agitai mes jambes dans tous les sens, tentant vaguement et vainement de frapper l’homme qui me tenait à sa merci. J’allais mourir, ici, chez moi, pour une histoire que j’aurais mieux fait de croire. 

Je pensais ma dernière heure arrivée quand la lumière s’alluma. Erick avait déboulé dans la chambre et prononçait quelques mots étranges en tendant une main vers mon assaillant. Un rayon lumineux en sortit et enveloppa la tête du molosse. Celui-ci lâcha son épée et tenta d’enlever les fils d’or qui entouraient son visage. Il réagissait comme si cela le brûlait et il ne réussit pas à se dégager. Son autre main n’avait toujours pas lâché ma gorge et je n’avais plus aucune force pour me débattre. L’homme, ne trouvant toujours aucune solution, empoigna à nouveau son épée, prononça deux mots et disparût sans aucune cérémonie, me libérant de son emprise. 

Je pus enfin respirer et l’air s’engouffra si vite dans mes poumons que je fus prise d’étranglement. Erick se précipita auprès de moi et me redressa alors que j’étais secouée de violents spasmes. Je n’eus pas la force de crier quand sa main toucha mon épaule. Erick me pressa contre lui et m’entoura de ses bras puissants. Comme si le moment était bien approprié, je remarquai qu’il n’avait plus de bandage et qu’il n’avait plus l’air de saigner. Je frissonnai encore des pieds à la tête lorsqu’il murmura : 

- Je te l’avais dit … 

Il me serra un peu plus fort contre lui et passa une main sur mon épaule déchiquetée. Une vague de chaleur déferla en moi et j’eus la sensation que les chairs malmenées se raccommodaient lentement. La vague de chaleur gagna mon esprit, et ma tête roula en arrière. 

- Dors maintenant. Je veille sur toi, murmura Erick. 

Ce furent les dernières paroles que j’entendis avant de sombrer dans un sommeil sans rêves ni cauchemars. 

***

Je continue sur ma lancée...

dimanche 16 septembre 2012

Destins croisés - Episode 7



Je regardais toujours Erick. Ses cheveux brins en bataille étaient épais et une mèche rebelle tombait sur ses yeux d’un bleu profond, qui exprimaient toute la gravité de la situation par leur seul éclat. Un nez aquilin surplombait une bouche bien faite et ses joues étaient rasées de près. Il était grand, bien proportionné, et puissamment musclé comme je l’avais constaté plus tôt. C’était un bel homme même s’il n’avait rien d’extraordinaire. 

- Bon, repris-je, brisant le silence pesant qui s’était installé entre nous. Admettons que tout ceci soit vrai. Qu’as-tu fait pour qu’on veuille ta mort ? Qui sont ceux qui te poursuivent et quel est cet homme qui s’est évaporé je ne sais où ? 
- Je suis ce qu’on appelle un templier. Je maîtrise la magie pour la mettre au service des plus démunis. Je suis le dernier homme libre de mon Ordre, et cette liberté a un coût ; la fuite. 

Qu’est-ce que c’était encore cette histoire de templier et de magie ? 

- Bon ok. Tu es un templier et le dernier en liberté. Quel est le rapport avec ce qui vient de se passer ? 
- Tous les templiers ont été pourchassé et asservis sous les ordres de Cardanas, poursuivit Erick en ignorant ma question. Dans un premier temps, il réussit à convaincre quelques templier, haut placés dans l’Ordre, de se joindre à sa cause. Ensuite, il tenta les plus faibles d’entre nous en leur promettant richesse, pouvoir et prospérité sur des générations. Puis, il allia les premiers pour vaincre les plus résistants d’entre nous. Ce fut un véritable massacre. Certains périrent dans d’atroces souffrances, d’autres furent brisés et asservis. Nous avons été très peu à réchapper de cette éradication. Ceux qui restèrent furent pourchassés comme des assassins. Sans cesse obligés de fuir, certains finirent par céder. Soit par cupidité, soit par désespoir. Il y a maintenant trois ans que le dernier compagnon qui fuyait à mes cotés fut rattrapé par les sbires de Cardanas. Jusqu’au bout il aura vaillamment lutté, ajouta-t-il avec émotion. Je n’avais plus le choix, courir le pays n’était plus une solution, il fallait que je fuie davantage et c’est ici que je suis venu. 

J’avais du mal à avaler ses salades, mais je jouai le jeu, prête à voir jusqu’où il irait dans ses histoires à dormir debout. 

- J’ai dû louper un chapitre quelque part, mais comment passe-t-on de ton monde au mien ? Dans un claquement de doigt ? demandai-je avec sarcasme. 

Erick répondit sans relever ma remarque acerbe. 

- Grâce à la magie. Par moment, certains endroits sont fortement liés l’un à l’autre, au delà les univers. On appelle cela un trou dans l’espace. Ce sont comme des portails qui s’ouvrent pour faire le pont entre deux univers. Ils peuvent prendre des formes très différentes. Ils peuvent être objets, minéraux, végétaux, mais jamais animaux ni humain, du moins en théorie, mais peu importe, dit-il en balayant l’air de la main. Dans le cas présent, le livre que tu as trouvé chez moi est un portail en direction de mon monde. Et je ne sais pas encore comment, mais visiblement Cardanas a trouvé un moyen d’établir un lien permanent qui lui permet d’envoyer sa garde rapprochée à n’importe quel moment et n’importe où… La première attaque a eu lieu deux jours plus tôt alors que je rentrais du travail, ajouta-t-il plus pour lui-même que pour moi. 

Je réfléchis à toute vitesse, essayant de trouver un élément incohérent à son récit. 

- Si le lien entre ton monde et celui-ci se fait à travers le livre, comment expliques tu que l’homme que j’ai tué soit apparu près de toi, dans la rue, et pas dans ton appartement, près du portail ? 

Erick haussa les épaules. 

- Je me pose la même question, et je n’ai pas réponse à tout. J’espère pouvoir élucider ce mystère avant que cela ne prenne des proportions trop dramatiques. Je ne comprends pas encore quel procédé utilise Cardanas pour envoyer ses hommes ici, tout ce que je sais c’est que j’avais posé un sceau sur le livre pour verrouiller le passage, et qu’en revenant ici le livre n’était plus à sa place, et le sceau brisé. 

J’avais bel et bien touché au livre oui, mais je n’avais rien remarqué de particulier dessus, et il ne me semblait pas qu’il ait changé tandis que je le manipulais avec soin. Et puis en toute logique, l’attaque avait eu lieu avant que je vienne fouiller dans son appartement ; le sceau avait donc déjà disparu à ce moment là. Voilà que je me mettais à raisonner comme si toute cette histoire était vraie. 

- Rien ne t’oblige à me croire, mais tu voulais la vérité ; la voilà, dit-il devant mon scepticisme. 

Je fis une moue dubitative. 

- Et qu’est devenue l’espèce de molosse à la grosse épée ? Je ne l’ai pourtant pas inventé, ma chemise est encore pleine de sang, ajoutai-je en repensant au torchon imbibé que j’avais jeté dans la baignoire. 

Erick m’observa un moment avec un léger froncement de sourcils. 

- Non, tu ne l’as pas inventé, en effet. Il s’appelait Joastin, fût un temps il était templier tout comme moi, mais c’était également l’un des plus faibles de notre ordre. Il a été l’un des premiers à céder devant l’attrait du pouvoir. Son âme repose aux Enfers désormais, et son corps s’est évaporé pour rejoindre la matière de son monde d’origine. Les choses reprennent leur cours. 
- Je suis désolée Erick. Je n’arrive pas à croire à toute cette histoire tirée par les cheveux. Ça ne peut pas… ce n’est pas ainsi que vont les choses. Pour moi tu n’es qu’un collègue de travail à qui il manque une case. 

Erick s’esclaffa et se leva pour se planter devant moi. 

- Je te remercie pour ta franchise. Mais le collègue à qui il manque une case n’a pas besoin que tu le crois. Je te mets juste en garde contre les dangers que tu cours à présent. Cardanas a forcément vu ton visage à travers l’esprit de Joastin, et crois-moi il ne t’oubliera pas, il essayera de te retrouver et il te tuera. Ce ne serait qu’un échange de bons procédés pour lui ; tu as tué l’un de ses soldats, ce ne serait que justice que tu meurs à ton tour. 

Je frissonnai devant de telles paroles froides. Dans quel monde vivait-il donc ? Comment pouvait-on être dérangé à ce point et paraître si sain d’esprit ? Je n’étais pas forcément un exemple en la matière, mais il y avait des limites à tout. 

- Bien, maintenant que je sais tout et que ta blessure est bandée, tu peux partir, comme promis. 
- Ho non, après ce qu’il vient de se passer, il n’est pas question que je te laisse seule ici. Si je pars, Cardanas aura la voie dégagée pour te supprimer. 
- Qu’est-ce que ça peut te faire ? répliquai-je cinglante. Je ne suis rien pour toi, juste une femme d’un autre monde qui n’a rien à voir avec toi, une étrangère. Alors tu peux t’en aller et si un second Joastin pointe le bout de son nez ici, j’en fais mon affaire. 

Erick ria aux éclats et déclara qu’il n’avait aucun doute là-dessus. 

- Il n’empêche que je me sens responsable de toi maintenant, et je ne bougerai pas d’ici tant que tu ne seras pas prête à me suivre. 

Je le toisai du regard. Sa décision semblait le contrarier, mais il n’en était pas moins déterminé. 

- Je n’ai besoin de personne et tu n’es pas responsable de moi. 
- Soit, déclara-t-il en haussant les épaules. Je ne bougerai pas d’ici à moins que tu ne me menaces avec ton couteau. 

La plaisanterie ne me fit pas rire. Furieuse de ne pas avoir eu le dernier mot je m’isolai dans la cuisine pour préparer quelque chose à manger ; il était 16 heures et mon estomac criait famine après s’être lamentablement vidé dans les toilettes. J’avais quelques restes de ratatouille préparée la veille, et du blanc de poulet, que je fis revenir dans un wok. Cela suffirait bien pour nous deux. Erick me rejoignit dans la cuisine lorsque le repas fût prêt, et nous mangeâmes en silence. Je contemplai d’un regard neuf mon collègue de travail. Et si c’était vrai ? Après tout, quel intérêt avait-il à inventer une telle histoire ? Je ne lui avais jamais connu d’ami, ni même de fiancée, et la fouille de son appartement m’avait confirmé la chose. Personne ne venait le voir au travail, même ses collègues l’ignoraient royalement. Moi-même je ne lui avais porté qu’un intérêt modéré jusqu’à aujourd’hui. 

Je fis la vaisselle en silence et m’enfermai dans ma chambre. Erick se débrouillerait seul s’il voulait rester ici. Je mis un peu de musique pour méditer et m’allongeai sur le lit. Si je n’étais pas virée du travail j’aurais de la chance. Je pourrai toujours prétexter cette fameuse migraine fulgurante, mais les hordes de caméra qui envahissaient tous les lieux publics n’auront pas oublié mon passage chez Albert, et après une petite enquête de routine on retracera tôt ou tard mon parcours, et on remontera jusqu’à Joastin, et mon acte barbare. Fatalement. Alors je serais de nouveau fichée, une enquête spéciale serait ouverte à mon sujet, et ma vie entière sera passée au crible par les loupes des experts en tous genres. Je n’aurais plus aucuns secrets, et de vieux souvenirs reviendraient au grand jour… sauf si… Non, inutile d’y penser, ce serait pure folie. 

Sur ces pensées chaotiques je me sentis plonger dans les limbes embrumés du sommeil, et j’y glissais avec ivresse, persuadée que demain tout reviendrait à la normal.

***

Cela faisait longtemps que je n'avais pas dessiné sur papier, et ce n'est pas désagréable ! C'est brut de décoffrage comme on dit, mais peut-être que je ferais des retouches sur photoshop plus tard.

Ha et pour infos, pour ceux qui n'avait pas reconnu le dessin, c'est tiré des Forêts d'Opales, d'Arleston et Pellet. J'aime beaucoup l'univers et les dessins de cette série !

lundi 10 septembre 2012

Destins croisés - Episode 6



Je retrouvai Erick affalé sur le canapé noir – le noir était décidément une couleur seyante –, il avait l’air soucieux. Il avait enfilé un pull et changé de pantalon. Je regardais autour de moi. Aucune trace du colosse que j’avais tué ; aucune trace de sang, aucune trace de lutte, était-ce donc un cauchemar ? Mais non, je n’avais pas rêvé, mon couteau de cuisine trônait sur la table basse, encore plein de sang. Erick se leva et s’approcha de moi. 

- Ça va ? demanda-t-il doucement. 

Je balbutiai. 

- Oui,… je crois. Mais… où est-il passé ? Qu'est-ce qu’il voulait ? Qui était-ce ? Que… 

Erick se leva et me prit par les épaules. 


- Je t’avais dis de ne pas t’en mêler. Voilà à quels risques tu t’exposes en m’aidant. Maintenant ils vont chercher à t’éliminer, tu t’es dressé comme un obstacle entre eux et moi, ils ne te laisseront pas tranquille. 

- Mais de qui parles-tu à la fin ? m’énervai-je. Qui te recherche ? En quoi t’aider met ma vie en danger ? Qui était cet homme ? Je… je l’ai tué, alors où est-il maintenant ? Il n’a pas pu disparaître ainsi ! 


Ma gorge se noua mais mes yeux restèrent désespérément secs. Je n’étais pas faible ! 

- Eléonaure ! 

Erick me sourit, et ce simple geste suffit à apaiser mon esprit torturé par l’acte morbide que j’avais exécuté avec tellement de rage et de sang froid en même temps que ç'en était effrayant. Ses doigts caressèrent ma joue avec douceur. Je me dégageai sans délicatesse et posai un index accusateur sur sa poitrine, en le regardant droit dans les yeux. 

- Qui es-tu à la fin ? Je n’ai rien trouvé d’intéressant dans ton dossier à l’agence, et je ne vais pas me contenter de ça, après ce que je viens de faire pour toi. Alors je t écoute. 

Je croisai les bras et pris un air déterminé pour lui montrer que je n’abandonnerai pas tant que je n’en saurais pas un peu plus. Erick de rassit sur le canapé et passa une main lasse sur ses yeux. Visiblement ce qu'il avait à me dire ne l’enchantait guère, mais je me fichai éperdument de ses états d’âme ; j’avais tué un homme de sang froid et j’estimai que j’avais le droit de savoir pourquoi. 

- Tu ne me croiras jamais et tu me prendras pour un fou. Oublie ça. 

- Hors de question. Tu me dois des explications et je les écouterai quoique tu dises. J’en jugerai après. 

Erick se pencha en avant et posa une main sur son bandage. 

- Comme tu veux. Après tout je n’ai rien à perdre dans l’affaire, et tu as déjà fait ton choix…Je viens d’un autre monde, d’un autre univers que le tien. Là d’où je viens, certaines personnes veulent ma mort et je me suis réfugié ici dans ton monde. C’est pour cela que tu n’as rien trouvé sur moi. Ici je n’ai pas de passé, pas de famille. 

- Arrête de me prendre pour une cruche. C’est un conte à dormir debout que tu me chantes là. 

- Je te l’avais dit. 

Un silence s’installa entre nous. Je dévisageai un peu plus Erick en me remémorant quelques détails. Deux ans plus tôt, il était arrivé fraîchement diplômé à l’agence, pour un entretien d’embauche. Enfin c’est ce qu’il avait prétendu en brandissant un bout de papier cartonné, signé et tamponné par le Haut Directoire. Il avait réussi l’entretien avec brio et on lui avait attribué le bureau voisin du mien. A cette époque j’étais également toute jeune à l’agence et le rythme des longues journées était éprouvant. J’avais alors pris l’habitude de démarrer la journée avec un café bien serré pour me maintenir éveillée jusqu'au déjeuné. La complicité avec mes collègues m’était quelque chose d’inconnu. Ils n’avaient pas fait un geste envers moi et de mon coté je n’avais pas non plus été très engageante. Un matin, quelques semaines après l’arrivée d'Erick, je trouvai un café posé sur le bord de mon bureau. Ce petit geste était devenu un rituel et j’avais appris à l’apprécier pour ce qu'il était. J’avais alors cru que mes rapports avec mon voisin de bureau se développeraient vers quelque chose qui ressemblerait à de l’amitié, mais non, il se contenta de son bonjour matinal et de quelques sourires dans la journée. J’avais respecté son silence et accepté son attitude. Plus d’une fois la curiosité m’avait piquée mais je n’avais jamais franchi le pas. Aujourd'hui plus qu'une occasion, c’était une nécessité de savoir qui il était, et j’allais bêtement passer à coté si je continuai à réagir ainsi.

La suite du récit et la suite du work in progress. J'ai commencé la colo, mais j'avoue que je m'empêtre un peu et je n'arrive pas au résultat que j'aimerai obtenir. Mais bon, comme d'habitude, j'essaye quand même, car ça ne coûte pas grand chose !

mercredi 5 septembre 2012

Destins croisés - Episode 5


Ce qui semblait être un homme vêtu d’une armure métallique menaçait mon collègue de travail avec une immense barre de métal qu’il tenait à deux mains. Elle brillait de mille feux. Cela me rappelait vaguement les épées qui illustraient les vieilles bandes dessinées. Il dominait Erick de deux têtes et ses mains gantées tenaient fermement la garde en argent de son arme. Ce qui devait être un heaume en fer blanc surmonté de plume rouge, cachait son visage et son cou. Néanmoins une longue natte tressée en sortait et se balançait dans son dos. Mais comment n’avais-je pas pu l’entendre entrer ? 

- Hey ! Qu’est-ce que vous faites chez moi ? 

Je n’aurais pas trouvé mieux si j’avais voulu paraître aussi idiote que j’en avais l’air, campée sur mes jambes devant le salon, avec mon grand couteau de cuisine dans une main. Le géant se retourna et me regarda quelques instants avant d’éclater d’un énorme rire gras. Oui, décidément j’étais vraiment une imbécile, et le regard que me lança Erick me confirma la chose. Et dans ces cas-là, autant l’être jusqu'au bout. 

- Je ne sais pas qui vous êtes, et ce que vous voulez, mais je vous prierai de bien vouloir sortir de chez moi, dis-je en pointant la porte du doigt. 

Le colosse en armure, qui menaçait toujours Erick de son épée disproportionnée, s’esclaffa de nouveau. 

- Elle me prie de sortir de chez elle ! Haha ! La bonne blague ! Tu n’as donc pas trouvé mieux pour te défendre qu'une misérable femme tout juste bonne au fourneau ? Non, Eryck tu me déçois cette fois, j’attendais mieux de ta part que ça ! dit-il en me désignant de la tête. 
- Hey ! Ici c’est chez moi, et votre place est dehors ! 

Je ne sus jamais ce qui me passa par la tête à ce moment-là ; je m’avançai d’un pas décidé pour le tirer par le bras en direction de la sortie. 

- Tu es vraiment pathétique Eryck ! 

Le géant souleva son énorme bras et me décocha un formidable revers de main qui m’envoya à l’autre bout de la pièce. Ma tête tapa contre le mur et je fus prise de haut le cœur en tentant de me relever. Le choc résonnait dans tous mes os et mon crâne semblait sur le point d’éclater. 

Erick et l’intrus m’avaient déjà oubliée, me laissant à mes nausées et mes douleurs. Je pris appui contre le mur et tentai une nouvelle fois de me relever. Je tenais à peine sur mes jambes mais ce fût suffisant pour récupérer le couteau qui avait glissé au sol à quelques centimètres de moi. Je vis vaguement Erick lever ses deux mains devant lui tandis que le géant abattait sa lourde épée sur sa tête. Il aurait dû mourir, oui c’est ce qui aurait dû se passer… normalement…, mais non ce n’est pas ce qui se passa. Contre toute attente, l’épée resta figée dans les airs, et le colosse semblait être à la lutte pour exécuter son coup. J’évaluai la situation rapidement et froidement. Sautant probablement sur la seule ouverture qu’il me laisserait, je bondis sur son dos et abattis le couteau à maintes reprises entre son armure et son heaume ; le seul endroit où il était vulnérable. Des gargouillis s’échappèrent de sa gorge et une gerbe de sang gicla dans ma direction. Le colosse battit vainement des bras dans le vide puis s’écroula à mes pieds… mort. 

Je regardai Erick, il avait l’air d’aller bien si on oubliait sa blessure au ventre, dont le bandage avait pris une couleur rougeâtre. Je regardai l’énorme masse étendue à mes pieds, une marre de sang grandissait sous l’homme au heaume. Je regardai mon couteau, plein de sang qui gouttait au sol. Mon regard allait de l’un à l’autre. Était-ce un rêve ? Comprenant soudainement ce que je venais de faire je lâchai prestement mon arme de fortune et regardai mes mains tachées de sang elles aussi. Je tirai sur ma chemise blanche, elle était également tâchée de sang. Bon Dieu qui n’existe pas, était-ce un cauchemar ? Je portai une main à la bouche et prise de violente nausée je courus au toilette. Mon estomac se vida de tout son maigre contenu. Les veines battaient sourdement à mes tempes, les yeux me piquaient, et mes mains tremblaient sur le bord de la cuvette. Les souvenirs remontèrent à la surface avec une violence inouïe. Je vomis une dernière fois, puis mon estomac, une fois assuré d’être réellement vide, me laissa en paix. 

Je gagnai la salle de bain et me rinçai la bouche ; du sang constellait mon visage et mes cheveux. Toute abasourdie, la réalité semblait être difforme. En détachant les boutons de ma chemise j’eus l’impression d’être dans le corps d’une autre femme, et d’assister passivement à ses gestes. Cette femme hystérique se frotta énergiquement les cheveux pour enlever les traces immondes de la violence qui avait eu lieu. Elle se déplaça mécaniquement jusqu'à sa chambre et enfila un T-shirt à manche longue noir. Oui, le noir c’est une couleur seyante. Elle inspira un grand coup et sembla me happer dans les méandres de son esprit, nos âmes se mêlèrent et je ne fis plus qu'une avec elle. J’étais de nouveau elle, elle était de nouveau moi, j’étais de nouveau moi. Les souvenirs se dissipèrent peu à peu. Cette fois, je devrais bien affronter la réalité de mes actes. Ce ne serait pas sans conséquence, car je n’aurais pas d’issue de secours. Même avec l’avocat le plus pourri de la Cité, traînant dans les meilleures magouilles et étant dans les petits papiers des juges, j’étais bonne pour la zone de stockage définitif. Car Damien ne viendrait pas à mon secours cette fois.

Le work in progress ne correspond pas vraiment à l'épisode, mais c'est tout ce que j'ai à montrer en ce moment !

mercredi 29 août 2012

Destins croisés - Episode 4


Nous descendîmes les cinq étages en silence, j’avais pris la tête de la marche, et j’avançais d’un pas ferme. Je n’avais pas l’intention de montrer mes doutes à mon collègue ; j’avais pris une décision, et comme toutes celles que j’avais prises tout au long de ma courte vie, je l’assumerai jusqu’au bout. Je grimpai dans ma voiture et Erick prit place à mes cotés. Alors que le véhicule s’engageait dans une petite rue, pour faire demi-tour, de grosses gouttes d’eau s’écrasèrent sur le pare-brise : le chant monocorde de la pluie débuta. Ce n’était pas un temps à courir les rues pour fuir, et je me félicitai de mon initiative. Erick se mura dans son silence habituel et l’espace de quelques instant j’eus l’impression de retrouver le collègue taciturne que je connaissais en réalité si peu, et qui, pourtant, m’avait toujours été sympathique sans que je ne sache vraiment pourquoi.

Nous n’échangeâmes pas un seul mot durant tout le trajet qui nous mena droit chez moi. L’engin se gara en contrebas des immeubles et nous courûmes jusqu’au hall, sous la pluie battante. L’eau dégoulinait encore de nos vêtements lorsque nous passâmes la porte de mon appartement. Ce n’était pas très grand. Configuré à peu de choses près comme celui d’Erick, il y avait juste une chambre de plus que j’avais converti en bureau. Je n’avais pas besoin de plus, et surtout je n’avais pas les moyens d’avoir plus. Et pour une femme de ma condition ce n’était pas si mal. J’avais meublé mon intérieur sobrement, avec de nombreuses lignes courbes et élégantes ; j’avais choisi des couleurs neutres – noires et blanches – rehaussées çà et là d’un mélange chaud et froid – terre de sienne et vert anis. Avec le temps j’avais fini par m’y plaire. La grande baie vitrée du salon donnait plein sud et la lueur verdâtre du soleil entrait à flot lors des beaux jours. Sur le balcon je pouvais également observer le crépuscule tombant sur la Cité. Non, je n’étais pas mal lotie.

Erick haletait à coté de moi en se tenant le coté. Je pris son sac de voyage que je déposai dans le salon et revins vers lui. Je trouvais son teint pâle et son état général avait quelque chose d’effrayant. D’ordinaire si calme et si détaché, presque rassurant à certains moments, il semblait en proie à des tourments intérieurs et son visage était crispé par la douleur. Je tendis une main vers sa veste pour l’écarter mais il me repoussa d’un revers de main.

- Ça va aller.
- Non, ça ne va pas aller. Tu as perdu tellement de sang. Laisse-moi au moins regarder.

Erick grommela mais me laissa faire lorsque je revins à la charge. Sa veste, son pull, son T-shirt et son pantalon étaient poisseux et gorgés de sang. J’écartais délicatement les tissus imbibés en m’agenouillant devant lui, pour mieux observer la plaie. Elle était nette et profonde, et devait bien mesurer cinq à dix centimètres de long. Ce n’était pas étonnant qu’il souffre, mais je n’arrivais pas à déterminer ce qui avait pu causer une blessure pareille. Visiblement, aucuns organes vitaux n’avaient été touchés, c’était déjà bon signe. J’emmenai Erick avec moi dans la salle de bain et sortis une bouteille d’alcool à 90° C, ainsi que des compresses, une bande de gaz et des ciseaux. Mon collègue me lança un regard furibond, mais une fois encore il se laissa faire quand je lui enlevai sa veste, son pull, et son T-shirt. Je versai une bonne quantité d’alcool sur une compresse et l’appliquai sans ménagement sur la plaie. Il se crispa sous la douleur, et ses muscles se contractèrent sous mes doigts. Je fis semblant de ne pas être perturbée devant sa puissante musculature que je n’avais jamais remarquée, puisqu’il se cachait toujours derrière d’épais pull en laine. J’utilisai plusieurs compresses pour désinfecter la plaie et essuyer le sang qui avait coulé en abondance, puis je sortis un pot en verre de sous l’évier. Erick le prit et le renifla d’un air soupçonneux.

- Qu’est-ce que c’est ? me demanda-t-il.

Je me dressai de toute ma hauteur pour le toiser, malgré sa bonne tête qui me dépassait, et déclarai avec aplomb :

- Ceci, mon cher, est un cataplasme concocté par mes soins, à base d’un tas de truc qu’on ne trouve plus aujourd’hui. C’est plus efficace que n’importe quel médoc’ que l’on pourrait te refiler.

Il le renifla une seconde fois avant de hocher la tête et me tendit le pot. J’en appliquai largement sur la plaie, et en imbibait une compresse que j’appliquai dessus. Avec la bande de gaz j’entourai son torse afin de maintenir le cataplasme et favoriser la cicatrisation. Je pris une dernière compresse et l’approcha de son visage où une petite coupure saignait encore mais il attrapa mon poignet en vol. Sa pression n’était pas violente comme la dernière fois, mais douce et délicate.

- Je m’en occupe, merci.
- Comme tu veux.

Je laissai retomber ma main le long de mon corps et abandonnai là mon blessé pour m’affairer en cuisine. J’avais pour idée qu’une bonne tisane ne nous ferait pas de mal et délierait peut-être un peu plus la langue d’Erick. J’étais bien décidée à lui arracher les vers du nez pour comprendre à quoi rimait tout ce cirque.

J’entendis du bruit dans le salon et supposai qu’Erick fouillait dans son sac pour mettre des vêtements propres. Mais lorsque des éclats de voix s’élevèrent de la pièce voisine, je compris mon erreur. Quelqu’un était entré chez moi, et Erick s’opposait à lui. L’individu avait une voix grave et couvrait mon collègue d’injures que je n’aurais jamais osé prononcer. Mon cœur s’accéléra, je ne pouvais pas rester là à rien faire. M’armant de courage je bondis dans le salon, un long couteau de cuisine brandi en avant, prête à faire face à tout ce qui pouvait arriver. Je m’étais attendu à tout, sauf à ça. Oui, vraiment à tout, mais pas ça.

Comme toujours, je ne suis pas du tout convaincue par la colo. Il va vraiment falloir que j'y remédie, d'une manière ou d'une autre.

dimanche 19 août 2012

Destins croisés - Episode 3


Erick était là, haletant, se tenant au chambranle de la porte du salon. Il avait une main portée à son bas ventre et une douleur visible crispait ses traits d’ordinaire calmes. En me voyant il écarquilla les yeux et bredouilla des phrases incompréhensibles.

- Qu’est-ce que tu fais là ? dit-il enfin après avoir retrouvé les idées claires.

Ses yeux gris pâle me dévisagèrent avec insistance comme s’il avait une hallucination. Je me sentais gênée d’être entrée chez lui comme une voleuse, et d’avoir fouillé son appartement, cependant, l’inquiétude que je lisais dans son regard me disait qu’en réalité il se fichait bien de savoir pour quelles raisons j’étais là. Oubliant mon embarras je repris avec aplomb.

- C’est plutôt moi qui devrais te demander ce que tu fais là, rétorquai-je. Pourquoi n’es-tu pas au bureau ?

Erick regarda son poignet et soupira.

- Je n’avais pas vu qu’il était si tard.

La conversation avait quelque chose de surréaliste. Il voulut sourire, mais une quinte de toux l’en empêcha. Sa main quitta son ventre pour se placer devant sa bouche alors qu’il crachait du sang. Affolée, je me précipitai vers lui. Je voulus passer mon bras sous son épaule pour le mener jusqu’au canapé, mais il émit un grognement et me repoussa violemment. Mon épaule alla cogner contre le mur d’en face. Je m’apprêtai à émettre une remarque désobligeante, avant de m’apercevoir qu’il était blessé sous sa veste, et que j’avais du sang plein les mains.

- Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? demandai-je inquiète.
- Rien. Ne te mêle pas de ça, répliqua-t-il froidement.

Erick traversa péniblement le salon et s’arrêta devant la table basse. Son regard se posa sur l’ancien livre que j’avais laissé là quelques instants plus tôt, puis revint se fixer sur moi. Ses yeux semblaient à présent fait d’acier. Il n’y avait plus rien d’amical dans son attitude. C’était une facette que je ne lui connaissais pas. Il avait l’air d’un parfait inconnu. D’ailleurs avait-il été autre chose qu’un inconnu pour moi ? Je n’avais jamais autant parlé avec lui qu’à cet instant précis.

- Tu as touché à ce livre ? demanda-t-il visiblement en colère.
- Oui, je l’ai juste feuilleté. Mais c’est du charabia. Et ce n’est pas la peine de te mettre en colère pour ça, rajoutai-je devant son air furieux.
- Comment oses-tu ! Tu te permets de rentrer chez les gens, de fouiller et de juger, sans savoir !
- Je suis désolée Erick. Je ne savais pas que c’était important, repris-je plus doucement. Qu’est-ce que c’est ?
- Ne te mêle pas de ça !

Sa voix tonna au dessus de ma tête. Je tremblai comme une feuille devant sa fureur, mais je ne m’avouai pas vaincue. Ho non, je n’étais pas venue jusqu’ici pour rien !

- Que je ne me mêle pas de quoi ? J’ai mis la carrière d’Albert et la mienne en péril pour venir chez toi. Personne ne savait où tu te trouvais, et quand enfin je mets la main sur toi, tu ne ressembles pas à celui que je connais, et tu pisses le sang ! Et tu voudrais que je ne mêle pas de ça !

Son regard n’avait pas dévié du mien.

- Par pitié Eléonaure, ne t’en mêle pas. Va-t-en.

Son ton s’était adouci mais restait ferme.

- Je ne m’en irai pas, m’entêtai-je.

Et pour prouver que je ne changerai pas d’avis, je croisai les bras et m’adossai au mur de l’entrée. Erick soupira et fut pris d’une nouvelle quinte de toux, qui lui fit cracher encore plus de sang.

- Et bien reste là si tu veux, moi je m’en vais.
- Comment ça tu t’en vas ?

Sans prendre la peine de me répondre, il se dirigea vers sa chambre, et telle une gamine insolente, je lui emboîtai le pas en sautillant derrière lui. Il ouvrit le placard que j’avais fouillé et sortit un sac de voyage. Il y jeta pêle-mêle quelques vêtements, et sortit de l’ombre une paire de botte en cuir que je n’avais pas remarquée. Il alla ensuite à la salle de bain, ne prêtant plus attention à moi. Ayant levé toute inhibition, je restai dans la chambre et fouillai le sac ; il avait pris quelques sous-vêtements, deux trois pantalons, des T-shirts, deux pulls en laine avec d’épais col roulé, sa paire de botte, un étrange couteau et une couverture. Dans l’une des poches sur le coté, je trouvai une boussole et un petit carnet noir. Je n’eus pas le loisir de l’ouvrir qu’Erick était déjà revenu.

- Tu es encore là toi ? s’exclama-t-il en m’arrachant le carnet des mains pour le remettre à sa place. Je t’ai dit de partir.

Il ajouta un nécessaire de toilette, et son fameux livre rouge avant de refermer le bagage.

- Où comptes-tu aller ? demandai-je.
- Loin. Ça ne te regarde pas.

Il attrapa son sac et le balança par dessus son épaule. Il semblait moins gêné par sa blessure que tout à l’heure, et il avait essuyé le sang qui avait coulé le long de sa mâchoire. Alors qu’il allait sortir de la pièce j’attrapai la manche de sa veste.

- Dis-moi où tu vas…

Poussé par une soudaine fureur, il se retourna vers moi et m’attrapa le poignet. Sa grande main me broya les os et son regard me foudroya sur place. Je balbutiai quelques mots incompréhensibles et je ne sus pas si ce fût la peur qu’il lut dans mes yeux, ou la lassitude, mais sa langue se délia et il lâcha enfin quelques mots constructifs.

- Ils vont revenir. Cette fois je n’aurais pas autant de chance. Je ne peux pas rester ici, je dois partir, c’est comme ça. Et toi tu ferais bien de reprendre le cours normal de ta journée.
- Qui ça « ils » ? Où veux-tu aller ? Ta blessure doit être soignée avant toute chose. Tu n’iras pas bien loin dans cet état là.

Sa poigne se raffermit sur mon poignet et je serrai les dents.

- Je t’ai dit de ne pas te mêler de ça. Pour ton bien, reste en dehors de cette histoire et retourne bosser. Tes clients doivent t’attendre.
- Et ils pourront encore attendre longtemps. Si tu ne me réponds pas c’est parce que tu n’as, en réalité, aucune idée de là où tu vas aller, n’est-ce pas ?
- Pourquoi faut-il que tu sois si obstinée…

Il grimaça et me lâcha pour se tenir le bas ventre. Oui, j’étais obstinée et je comptais bien avoir le dernier mot.

- Viens chez moi si tu ne peux pas rester ici.
- Non, répliqua-t-il d’un ton sec.
- Au moins pour soigner cette vilaine blessure. Je ne suis pas médecin, mais tu ne peux pas rester comme ça, c’est sûr. Après je te laisserai tranquille.
- Tu ne sais pas dans quoi tu mets les pieds. Je ne peux pas te laisser prendre de tels risques.
- J’ai déjà pris des risques en voulant trouver ton adresse.
- Les risques dont je parle ne sont pas comparables à la perte d’un emploi, crois-moi. Ce n’est rien à coté de ce que tu pourrais encourir en m’aidant. Alors non. Je ne peux pas accepter.
- Moi seule décide des risques que je prends, répliquai-je implacablement. Suis-moi.

Je lui pris la main et il me suivit sans un mot. J’avais gagné – pour mon plus grand malheur. Erick ne prit même pas la peine de fermer son appartement à clé. Il laissait tout, tel quel, derrière lui, et la petite voix me chuchota qu’il ne reviendrait jamais ici. Dans quel pétrin avais-je encore mis les pieds ?

Un petit work in progress et la suite des aventures d'Eléonaure et Erick.

mardi 29 mai 2012

Ashatah



« Accoudé au bastingage du navire il savourait ce fameux vent avant la tempête avec délice. Raenir aimait vivre dangereusement, alors quand il avait su qu’un équipage se préparait à aller en haute mer pour rejoindre les îles d’Elande, il avait tout fait pour en être. Sa mère avait essayé de le convaincre de renoncer à cette folie, en vain. Lui ne rêvait que d’aventures et d’épopées fantastiques, alors sa place d’apprenti boulanger chez le vieux du village était loin de lui apporter ce qu’il attendait de la vie.


Ici, face aux éléments naturels il sentait l’adrénaline lui monter à la tête et ses rêves d’enfant devenir réalité. Il se remémora avec tendresse les larmes que sa mère n’avait su retenir sur le quai du port. Silhouette fragile au milieu d’une foule de badauds bruyante, elle avait sorti son mouchoir blanc pour se tapoter les joues avec douceurs et essuyer les rivières de larme qui coulaient jusque dans son cou. 

Elle se savait condamnée par une maladie incurable, et même l’Ordre n’avait pu trouver un remède contre ce mal qui la rongeait. Mais qu’importe, sa mère continuait sa vie malgré la maladie, et Raenir était fier de sa force. Il voulait qu’elle soit fière de lui à son tour, et pour cela elle devait le laisser partir. Tous deux avait toujours su que ce jour arriverait. 

- Hey, l’avorton ! cria un matelot aguerri dans le dos du jeune homme. Au lieu de bailler aux corneilles vient me donner un coup de main. Le pont doit être  dégagé. La tempête arrive. 

Le jeune homme se redressa et s’étira de toute sa longueur avant de rejoindre au petit trot l’homme d’âge mur qui lui tendait plusieurs bouts. 

- Va me les ranger dans la cale et revient me voir après. J’ai encore du boulot pour toi. 

Raenir acquiesça avec le sourire et partit en courant pour ranger le matériel. Il aimait se rendre utile et était avide d’apprendre un tas de nouvelles choses. En chemin il croisa d’autres matelots qui s’affairaient à attacher tout ce qui pouvait être dangereux en cas de grosse mer. L’adreline monta un peu plus et le jeune homme se dépêcha de revenir sur le pont. A deux ils ramassèrent tout ce qui trainait, rangèrent l’équipement qui n’avait plus rien à faire ici et s’assurèrent que tout était en ordre. Satisfait le matelot fit claquer sa main dans le dos de Raenir qui manqua de voler sous le coup. 

- C’est bien mon garçon. Continue comme ça et un jour peut-être tu auras ton propre équipage. 
- Oui monsieur. 
- Ne traine pas trop ici, la tempête sera sur nous d’un moment à l’autre et tu ferais mieux de rester à l’intérieur. 
- Bien monsieur. 

L’homme prit le dernier seau qui trainait et partit rejoindre les matelots qui attendaient les ordres des officiers. Raenir se détourna pour aller à la proue du navire. Le nez au vent il défia du regard le ciel noir qui se profilait à l’horizon. La mer moutonnait de plus en plus et quelques gros rouleaux commençaient à faire leurs apparitions. 

- Moi Raenir, fils de Maelen, je n’ai peur de rien ni personne ! hurla le jeune homme en serrant le poing. Un jour je serais le maître de ces océans et de ses mystères ! Un jour je saurais enfin la vérité sur les îles d’Elande et on chantera à ma gloire ! Mère, tu seras fière de moi je te le promets ! 

Un roulement de tonnerre suivit la déclaration enflammée du jeune homme et de grosses gouttes commencèrent à s’écraser sur les voiles et le pont. Raenir sourit et fit la révérence. 

A cet instant il crut apercevoir un visage à travers l’écume des vagues qui déferlaient sur la coque du navire. N’étant pas certain de ce qu’il avait vu, il se pencha un peu plus pour scruter les eaux sombres qui se déchaînaient de plus en plus. Stupéfait il faillit lâcher le bout qu’il tenait entre ses mains, derniers liens qui le retenait encore à bord. Il n’avait pas rêvé. Un visage d’ange aux cheveux mordorés était en train de se matérialiser sous les eaux. Quand elle ouvrit les yeux, le visage avenant et paisible de la jeune femme se teinta de colère et de fureur. 

- Qui es-tu pour croire qu’un jour tu règneras en maître ici ! gronda-t-elle d’une voix à la fois douce et tranchante. 

Raenir recula sur le pont en balbutiant tandis que l’apparition prenait pied sur la proue du navire. Sa peau claire et translucide était à peine couverte d’une robe qui semblait fait d’eau et d’air, et ses yeux pâles se posèrent sur le jeune homme avec insistance. 

- Je t’ai posé une question humain ! Ces eaux ne vous appartiennent pas. Encore moins les îles d’Elande. S’il est dit qu’aucun d’entre vous n’y mettra les pieds alors ne doutez pas que c’est ce qu’il arrivera. 
- Ashatah… souffla Raenir toujours abasourdi de ce qui lui arrivait. 
- C’est bien tu connais au moins mon nom. Mais cela ne te sauvera pas. 

Sur ces mots, elle leva les bras en direction du ciel et la mer se déchaina de plus belle sous l’orage. Le navire chavira brutalement et le jeune homme eu l’heureux réflexe de se rattraper au bout de de la grande voile pour ne pas être projeté au fond de l’océan. Mais le bâtiment commençait à prendre l’eau alors ce n’était qu’une question de temps avant qu’il y passe. 

- Voilà ce qui se cache derrière les îles d’Elande… murmura le jeune homme. 

Dans sa tête le tableau qu’il s’évertuait à compléter depuis des années prenait enfin tout son sens. 

- Mère, soit fière de moi et ne pleure pas. Nous nous reverrons bientôt. 

Raenir lâcha prise. Il était prêt à accepter son destin si les dieux en avaient décidé ainsi. En paix avec lui-même et ses désirs il ferma les yeux et sourit. 

- Peut-être pas. Et elle aura d’autant plus de raison d’être fière de toi. 
- Pourquoi ? demanda le jeune homme en ouvrant les yeux pour se trouver nez à nez avec Ashatah qui l’accompagnait dans sa chute. 
- Un jour tu le sauras. 

Heureuse comme jamais elle ne l’avait été, la déesse des océans disparut dans les eaux tumultueuses avec Raenir. Elle avait enfin trouvé son premier Arkhan : Raenir dan Arkhan. » 


Récit des divinités Tezone, Acte I, An 522



Et voilà Ashatah, que nous avons brièvement aperçue dans le récit de la déesse de la mort Nishimeu. En parallèle le récit de nos deux héros, Eryck et Eléonaure, vient d'entamer sa 70ème page sur word. Je crois que j'ai trouvé un bon rythme de croisière pour faire avancer le schmilblick comme on dit.

Et pour finir, voici Uzu revisité pour coller à la nouvelle ligne graphique de la série des Dieux Tezons.