mercredi 6 janvier 2010

Rencontre avec la Mort


Il y a quelques jours j’avais un rendez-vous très spécial. Rien que d’y repenser…


C’était un après-midi glacial d’hiver. Le ciel était dégagé et l’air sec semblait vouloir geler mes poumons. Cette rage qui montait en moi depuis quelque temps et menaçait d’imploser trouvait pour la première fois un écho. J’avais la sensation d’être suivi, comme si j’allais avoir l’occasion de déverser ce que je retenais en moi. Cette sensation me procurait à la fois de l’impatience et en même temps de l’inquiétude. Je traversais la voie en courant, sautant sur le trottoir d’en face entre deux passants. L’un deux maugréa en s’écartant vivement.


Il y avait de la vie autour de moi, pourtant le temps semblait avancer au ralenti. Je me voyais en train de tourner dans une petite rue piétonne pavée et jalonnée de commerces en tout genre. Les gens continuaient leur petit bonhomme de chemin tandis que je m’arrêtais. Un nuage blanc se forma à la sortie de ma bouche et se figea dans les airs. Je sentis mon corps tomber à la renverse mais pas de choc. Je me retournais stupéfaite. Mon corps était bien là allongé sur le sol, mais ma conscience était dans un autre corps. Je portais mes autres mains devant mes yeux. Elles étaient pâles mais elles ressemblaient bien aux miennes. Je baissais les yeux sur mon ventre, mes jambes et mes pieds. Je portais un accoutrement étrange fait de cuir noir et de lin rouge écru. Les hauts de chausses étaient retenus par des lacets, et l’étoffe accrochée à ma taille touchait pratiquement le sol. J’avais juste le strict minimum pour cacher ma nudité et pourtant je n’avais pas froid. Soudain une douleur aiguë aux omoplates me fit sursauter. Presque aussitôt des ailes d’une blancheur cadavérique se déployèrent dans mon dos.


C’est à ce moment-là qu’une ombre aussi noire que l’ébène tournoya au-dessus de ma tête pour s’arrêter quelques mètres plus loin dans la rue. Une silhouette grande d’environ deux mètres se matérialisa dans un grand manteau noir, la capuche rabattue sur le visage. Une faux apparu dans ses mains décharnées, entourée d’une noirceur vaporeuse.


- Je crois que tes vœux ont été exaucés, n’est-ce pas ?
La voix semblait sortir de nulle part. Elle était devant et derrière, autour et à l’intérieur de moi. Je frissonnai.
- Je ne comprends pas, répondis-je en essayant de ne pas trembler.
La silhouette s’arqua en un rire démoniaque assourdissant.
- Il n’y a rien à comprendre. Pour une fois que quelqu’un souhaite ardemment se retrouver en face de moi, je ne vais pas me faire prier.


Sur ces paroles, Elle fonça droit sur moi, la faux levée au-dessus de sa tête. Dans un réflexe de survie je me jetais sur le coté et l’évitai de justesse. A demi accroupie, en l’attente d’une autre attaque, un bâton sorti de je-ne-sais-où atterrit dans mes mains. Je me sentais emplie d’une force que je ne connaissais pas, et prête à riposter s’il le fallait. Je n’attendis pas longtemps pour avoir ma première occasion. La Grande Faucheuse attaqua de nouveau de front en misant tout sur la vitesse et la force de son coup. Je l’évitai agilement et abattais le bâton sur son épaule. Elle tituba quelques secondes déstabilisée par ma contre-attaque.


- Tu crois pouvoir faire le poids.
Ce n’était pas une question. La Grande Faucheuse était énervée et ça sentait mauvais pour moi. Les coups venaient de toute part et je ne réussis pas à tous les éviter. Je me servais de mes ailes nouvellement acquises pour prendre de la hauteur et reprendre mes esprits. Alors comme ça Elle pensait m’avoir aujourd’hui. Elle attaqua de nouveau et réussit à me prendre à la gorge.


- N’avais-tu pas souhaité cette rencontre ?
Cette voix si terrifiante n’avait plus aucun effet sur moi. Je marmonnais vaguement quelque chose et assenait un violent coup de genou à l’endroit où aurait dû se trouver son estomac. Surprise, Elle me lâcha et je lui assenai une série de coup que je ne retins pas. J’avais ma revanche sur Elle. Tout le mal qu’Elle avait fait subir à ma famille je lui rendis au centuple. Dans mes mains le bâton devint une arme redoutable et j’exécutais des enchainements que je ne m’aurais jamais cru capable de faire. La Grande Faucheuse perdit de sa superbe et essayait d’éviter les foudres de ma rage sans arriver à rendre les coups. Elle ne méritait aucun égard. Elle avait trop pris d’un seul coup, sans donner d’explication et de raison. Si elle devait m’emporter avec Elle je comptais bien lui rendre la tâche aussi ardue que possible. C’était la moindre des choses que je pouvais faire pour les miens. Si Elle devait perdre des plumes dans la bataille personne n’irait s’en plaindre. Repenser au malheur qu’Elle avait engendré me donna la force suffisante pour lui assener le coup de grâce. Le souffle court, dans une posture plus qu’inconfortable la Grande Faucheuse faisait pâle figure.


- Sache que je reviendrai. Et cette fois…
Sur ces mots lourds de terribles promesses Elle s’évapora pour me laisser pantelante au milieu d’une rue de Paris.


Le ciel était clair et la vie reprit peu à peu autour de moi.
Le corps qui abritait mon esprit s’effritait et je rejoignis mon vrai corps. C’est là que je me rendis compte que j’avais arrêté de respirer depuis un long moment. L’air s’engouffra à toute allure dans ma gorge pour gagner mes poumons, manquant de m’étouffer. J’ouvris les yeux et m’aperçu de toute l’agitation que j’avais provoqué dans la rue. Un camion de secours s’était engagé dans la rue piétonne, et un attroupement de badauds s’était formé autour de moi. Un pompier me maintenait par les épaules tandis qu’un autre avait un masque à oxygène dans les mains. Tous deux me regardaient d’un œil perplexe.


- Vous allez bien mademoiselle ?
Je pris un moment avant de répondre pour être sûre que ma voix ne faillerait pas.
- J’avais rendez-vous avec la Mort et ça ne s’est pas exactement passé comme Elle l’aurait souhaité.


Pour tous ceux qui nous ont quittés trop tôt et qui vont beaucoup nous manquer.